Thekchen Tcheuling, Dharamsala, Inde, 14 mars 2025 — Selon le calendrier tibétain, aujourd’hui, le quinzième jour de la nouvelle année du serpent de bois, marquait le Jour des Miracles. Ce jour spécial est l'occasion de célébrer les miracles accomplis par le Bouddha à Shravasti, en réponse à un défi lancé par six maîtres spirituels rivaux.
L'événement d'aujourd'hui faisait partie du Grand Festival de prières (le Mönlam Chenmo) établi par Djé Tsongkhapa au Jokhang de Lhassa en 1409. Au cours de son histoire, la célébration de cet événement a été perdue, mais elle a été relancée à l'époque de Gendun Gyatso, le Deuxième Dalaï-Lama, et a continué de perdurer jusqu'à aujourd'hui.
Chaque jour du festival était divisé en quatre sessions : une session de prières tôt le matin suivie d’une session d'enseignement, une session de prières à midi et une dernière l'après-midi. Pendant toute la durée des célébrations, la session d'enseignement était consacrée à la lecture des Contes de Jakata (Jatakamala) d'Aryashura, un récit poétique du IVe siècle relatant trente-quatre des plus célèbres vies antérieures du Bouddha. En ce quinzième jour du festival, jour de pleine lune, Tsongkhapa a également instauré une grande cérémonie publique pour générer la bodhichitta, l'aspiration à atteindre l'illumination pour le bénéfice de tous les êtres.
Le temps était doux aujourd’hui, et le soleil se reflétait sur les sommets himalayens. Le Tsuglagkhang, le temple tibétain principal, ainsi que sa cour, étaient remplis d'environ 6 000 personnes. Sa Sainteté le Dalaï-Lama franchit la porte de sa résidence en marchant d'un bon pas, escorté par des moines jouant de la corne à l'avant et un autre à l'arrière portant un parapluie cérémoniel jaune. Souriant en voyant tant de monde l'accueillir, Sa Sainteté s'arrêta pour saluer les gens de part et d’autre de l’allée.
Après que Sa Sainteté eut pris place sur le trône situé dans la véranda en contrebas du temple, le maître de chant dirigea une récitation rapide du Soutra du cœur, suivie de la prière de Trulshik Rinpoché relatant les incarnations d'Avalokiteshvara en Inde et au Tibet. Du thé et du riz sucré furent distribués et des versets d'offrande furent récités pour les bénir. Sikyong Penpa Tsering offrit à Sa Sainteté des représentations du corps, de la parole et de l'esprit du Bouddha, suivie d'une offrande de mandala. Plusieurs lamas éminents étaient assis près du trône, dont Thamthog Rinpoché, abbé du monastère de Namgyal, ainsi que Kundeling Tatsak Rinpoché, respectivement à gauche et à droite de Sa Sainteté.
« Aujourd'hui, nous sommes réunis pour le dernier jour du Grand Festival de prières », a déclaré Sa Sainteté à la foule. « Au Tibet, ce jour était traditionnellement le moment où les Guéshés Lharampas passaient leurs examens finaux. Des étudiants compétents des trois grands centres d'études, les monastères de Drépung, Séra et Ganden, les défiaient dans lors de débats. Je n'ai peut-être pas étudié autant que ces Guéshé, mais j'ai pu étudier et passer mes examens à Lhassa.
« À cette époque, j'ai fait des rêves étranges. Une fois, j'ai vu le Bouddha au centre de l'espace devant moi. Il me fit signe et je m’approchai de lui. Il semblait très content de moi, mais j'étais conscient de n'avoir rien d'autre à lui donner qu'un petit bonbon au chocolat, que je lui offris donc. Je pense que rêver ainsi du Bouddha montre que je suis un disciple sincère du Bouddha. J'ose même dire que je suis quelqu'un qui a délibérément pris naissance en tant que disciple du Bouddha.
« Nous avons perdu notre pays et nous vivons en exil ici en Inde et ailleurs. Ici et dans d'autres parties du monde, un intérêt croissant est né pour l'enseignement du Bouddha. J'ai pu discuter de l'enseignement du Bouddha avec des scientifiques et, lorsque je parle avec eux, j'ai l'impression d'être moi aussi un scientifique. Néanmoins, lorsque je parle avec des moines, je suis conscient d’être moine également.
« Avalokiteshvara est décrit comme ayant 1 000 yeux, ce que je n'ai pas, mais j'ai servi le Dharma au mieux de mes capacités. Je suis né dans les environs de Siling et j'ai reçu le nom de Lhamo Dondup, et la prédiction a été faite que l'on me découvrirait [en tant que réincarnation du précédent Dalaï-Lama] comme un garçon portant un nom de fille. Plus tard, j'ai été intronisé Dalaï-Lama. J'ai passé les examens pour devenir Guéshé Lharampa. En exil, j'ai servi le bouddhadharma et les êtres au mieux de mes capacités, et mes rêves m'ont indiqué que je pourrais vivre jusqu'à 110 ans ou plus. Pendant les années qui me restent à vivre, je suis déterminé à continuer à servir le Dharma et les êtres de mon mieux. Je suis ému par la prière que Djé Tsongkhapa a écrite à la fin de son Grand Traité sur les étapes progressives de la voie vers l’illumination.
Partout où l'enseignement du Bouddha ne s'est pas répandu
Et partout où il s'est répandu mais a décliné
Puissé-je, animé d'une grande compassion, élucider clairement
Ce trésor d'excellents bienfaits et de bonheur pour tous.
« Conformément à la tradition, je vais maintenant lire un extrait de l'un des contes de Jataka, qui racontent les vies antérieures du Bouddha. Dans cet extrait, le récit concerne une époque où le Bodhisattva était un marin sage et expérimenté ».
Sa Sainteté a commencé à lire le texte :
« Lorsqu’on demeure dans le Dharma, la vérité suffit à dissiper la destruction. Le Bodhisattva était un navigateur fort expérimenté, connu sous le nom de Suparaga ou « bon passage ». Dans sa vieillesse, des marchands de Bharukachehna, qui commerçaient avec le Pays de l'Or, l'invitèrent à naviguer avec eux. Suparaga répondit : « Je suis un vieil homme. Quelle aide pensez-vous que je puisse apporter ? Mon esprit vagabonde, mon corps est faible et j'ai presque perdu la vue. » Les marchands répliquèrent : « Nous vous voulons pour votre seule présence. » Par compassion, le Grand Être, bien que vieux et malade, monta à bord du navire.
Le navire traversa différentes mers, l'une plus agitée que l'autre. Les marchands étaient remplis de peur et de désespoir. À un moment, Suparaga, le Bodhisattva, les réconforta en disant : « Pour ceux qui veulent traverser le Grand Océan, de telles turbulences annonciatrices sont la règle. Pourquoi s'en étonner et devenir la proie de la peur et de l'émotion ? Les afflictions ne sont jamais vaincues par la tristesse et l'abattement. Celles et ceux qui sont assez intelligents pour faire ce qui doit être fait peuvent facilement surmonter toutes les difficultés. Courage ! »
Pourtant, la situation s’aggrava et l'équipage perdit le contrôle du navire. Les marchands se tournèrent à nouveau vers Suparaga pour lui demander son aide. « Toi qui as la capacité d'aider tous les êtres, qui as si souvent soulagé ceux qui étaient dans la détresse, le moment est venu d'utiliser ton pouvoir pour agir. Nous nous réfugions auprès de toi, car nous sommes dans une grande détresse et sans protection. »
C'est tout ce que Sa Sainteté a lu aujourd'hui.
La suite de l'histoire raconte comment le Bodhisattva jeta sa robe sur une épaule, s'agenouilla sur le pont du bateau et, s'inclinant, rendit un hommage sincère au Tathagata. Il dit aux marchands : « Vous, honorables marchands de mer, et vous, dieux du ciel et de l'océan, écoutez et soyez mes témoins. Depuis mon premier acte conscient, je ne me souviens pas d'avoir blessé un seul être vivant. Par le pouvoir de cet acte de vérité, par la force de ma réserve d'actions vertueuses, puisse ce navire faire demi-tour en toute sécurité sans tomber dans les antres de la mer ».
Et si grande était la puissance de sa vérité, si grande la splendeur de son mérite, que le courant et le vent changèrent de direction, faisant revenir le navire par où il était venu. En voyant le navire tourner, les marchands exultèrent d'admiration et de joie.
Aryashura, qui a compilé cette collection de contes de Jataka, commente : « Cette histoire démontre que lorsqu'on demeure dans le Dharma, le simple fait de dire la vérité suffit à dissiper les calamités. Elle montre également le grand avantage d'avoir des amis vertueux. Comme le dit le proverbe : « Ceux qui dépendent d'amis vertueux atteignent le bonheur ».
Sa Sainteté a continué par ces mots : « Je viens de l'Amdo, j'ai étudié et j'ai passé mes examens. Dans notre nouvelle situation d'exil, j'ai eu l'occasion de rencontrer des gens, des scientifiques en particulier, qui se sont intéressés à ce que le Bouddha avait à dire sur le fonctionnement de l'esprit et des émotions, en particulier sur la façon de traiter les afflictions mentales. Je pense que nos discussions ont été mutuellement bénéfiques. Ce qu'il faut retenir, c'est que si nous cultivons un cœur chaleureux, nous pourrons mener une vie pleine de sens.
« Dès que je me réveille le matin, je génère l'esprit d'éveil de la bodhichitta, l'aspiration à atteindre l'illumination pour aider tous les êtres, ainsi que la vue selon laquelle les choses n'existent pas telles qu'elles apparaissent. C'est ainsi que je commence chaque jour de ma vie.
« Cultiver l'esprit d'éveil nous aide à surmonter le désespoir. Il nous aide à nous sentir confiants de pouvoir travailler pour les êtres, jusqu’à la fin des temps et de l'espace. Mais pour cultiver l'esprit d'éveil, nous avons besoin de la vue pure selon laquelle les choses n'existent pas telles qu'elles apparaissent. Combiner la bodhichitta avec la vue de la vacuité est très puissant.
« Certaines personnes m'ont demandé de conduire la cérémonie pour cultiver l'esprit d'éveil de la bodhichitta. Il existe de nombreuses façons de le faire. En l'occurrence, je vais vous demander de répéter ces versets du chapitre III de le L’Engagement dans la conduite du bodhisattva de Shantideva ».
Comme tous les bouddhas du passé
Ont fait naître l'esprit d’éveil,
Ont vécu et se sont entraînés pas à pas
Dans les préceptes des bodhisattvas, 3/23
De même, pour le bien des êtres,
Je ferai naître l'esprit d’éveil,
Et dans ces préceptes, pas à pas,
Je demeurerai et m'entraînerai. 3/24
Aujourd'hui, ma vie a porté ses fruits.
J’ai obtenu une bonne renaissance humaine.
Dès maintenant, je prends naissance dans la lignée du Bouddha,
Je suis devenu l'enfant et l'héritier du Bouddha. 3/26
J'entreprendrai donc de toutes les manières
Les activités qui conviennent à un tel rang.
Et je ne ferai rien qui puisse entacher
Ou compromettre cette haute et irréprochable lignée. 3/27
Une fois que l'assemblée eut répété ces mots après lui, Sa Sainteté conclut : « C'est tout, nous avons terminé ! »
Le maître de chant dirigea le chant des versets de bon augure. Sa Sainteté se leva et redescendit l'allée, arborant un sourire radieux et saluant les gens de part et d'autre sur son passage. Arrivée à la porte, elle monta dans une voiturette électrique qui la ramena à sa résidence.