Thekchèn Tcheuling, Dharamsala, Inde, 13 juin 2022 – Ce matin, 8 500 personnes de 56 pays différents, dont 700 moines, moniales et laïcs des communautés Shérabling et Tchango qui avaient demandé l'initiation, se sont rassemblées au Tsouglagkhang, le temple tibétain principal, pour accueillir Sa Sainteté le Dalaï-Lama. Celui-ci rayonnait de joie et saluait les membres du public alors qu'il marchait d'un pas ferme depuis la porte de sa résidence jusqu'au temple.
"Aujourd'hui, Taï Sitou Rinpoché est parmi nous, annonça-t-il. Il a demandé l’initiation de Tchènrézi Gyalwa Gyatso (Avalokitéshvara Djinasagara). Avalokiteéhvara peut être pratiqué selon les quatre classes de tantra, mais Gyalwa Gyatso appartient au tantra de l’union insurpassable."
Sa Sainteté fit référence à Avalokitéshvara comme la déité suprême de la compassion et récita quelques versets à sa louange.
"HRIH, extrêmement loué par tous les Bouddha
Tu as accumulé toutes les qualités sublimes
On t'a conféré le nom de Tchènrézi,
Je m'incline devant celui qui a toujours été compatissant.
"Vos 1000 mains représentent les 1000 monarques universels,
Vos 1000 yeux représentent les 1000 Bouddhas de cette ère fortunée,
Vous apparaissez aux différents êtres en fonction de ce qui peut les discipliner,
Je rends hommage au Vénérable Avalokitéshvara.
Avant de commencer les préparatifs de l'initiation, il m'a été demandé de donner une lecture des Étapes condensées de la voie vers l’éveil de Djé Tsongkhapa, ce que je vais faire maintenant, après avoir récité le Soutra du cœur.
Taï Sitou Rinpoché offrit un mandala et les trois représentations du corps, de la parole et de l'esprit de l'éveil. Sa Sainteté observa que lui et Rinpoché sont amis depuis longtemps et que Rinpoché a été d'une loyauté inébranlable.
Sa Sainteté mentionna que Djé Rinpoché a composé des traités grand, moyen et condensé, sur les étapes de la voie vers l’éveil, basés sur la Lampe de la voie d'Atisha. Il commence ici par rendre hommage à Manjoushri, suivi d'un verset de louange au Bouddha.
Votre corps est crée de dix milles vertus
Votre parole satisfait les souhaits de tous les êtres,
Votre conscience réalise tous les phénomènes tels qu’ils sont,
Devant le chef des clans des Shakya, je me prosterne avec déférence.
"L'enseignement du Bouddha ne dépend pas seulement de la foi, il est fondé sur la raison. Ce que le Bouddha a dit peut être mis à l'épreuve de la raison. Plus tard, les maîtres de Nalanda, comme Nagarjouna, ont montré combien il est important d'examiner l'enseignement du Bouddha à la lumière de la raison et d'établir qu'il était un maître incomparable.
"L'Inde a une bonne et longue tradition de respect de toutes les traditions spirituelles et de nombreuses traditions différentes ont prospéré dans ce pays.
"Je suis un moine bouddhiste qui a étudié la logique et l'épistémologie. J'ai appris que des points de vue comme ceux proposés par l'école de l'esprit seul concernant la non-dualité du sujet et de l'objet peuvent être mis à l'épreuve de la raison. Aujourd'hui, même les scientifiques admirent la présentation vaste et raisonnée que fait le bouddhisme quant au fonctionnement de l'esprit et des émotions. Lorsque nous sommes enfants, dans les monastères, nous étudions l'esprit et la conscience ; nous apprenons les 51 facteurs mentaux. Pour ma part, j'ai étudié le Recueil des sujets, l'esprit et la logique, ainsi que la Perfection de la sagesse et les enseignements de la voie médiane. Il est important d'étudier les textes classiques, dont certains que j'ai également mémorisés."
Sa Sainteté rappela un verset de l’Hymne à l’apparition en dépendance de Djé Rinpoché, qui s'applique également à lui.
En prenant l’ordination dans la voie du Bouddha
Sans être laxiste dans l'étude de ses paroles,
Et par une pratique yogique d’une grande détermination,
Ce moine se dévoue à ce grand pourvoyeur de vérité.
Il nota qu'en exil, les Tibétains avaient demandé l'aide du gouvernement indien, dirigé par le pandit Nehru, d'abord pour créer des écoles séparées où les enfants tibétains pouvaient étudier dans leur propre langue. Plus tard, les grands monastères qui avaient été des centres d'apprentissage au Tibet ont été rétablis dans le sud de l'Inde.
En remontant au septième siècle, Sa Sainteté décrivit comment le roi Songtsèn Gampo, malgré plusieurs liens étroits avec les Chinois, a choisi de créer l'écriture tibétaine sur le modèle de l'alphabet indien devanagari. Un siècle plus tard, lorsque Shantarakshita a été invité au Tibet, il a reconnu le potentiel de la langue et a fortement recommandé que la littérature bouddhiste soit traduite en tibétain. C'est ainsi que sont nés les plus de 300 volumes du kangyour (les paroles du Bouddha) et du tèngyour (les traités suivants), auxquels se sont ajoutés 10 000 traités rédigés par des érudits tibétains.
Les communistes chinois ont tenté sans succès de restreindre la culture bouddhiste tibétaine, et il est clair que la philosophie bouddhiste tibétaine est plus profonde que le communisme chinois. Contrairement à cette idéologie, les Tibétains exercent une sorte de démocratie bouddhiste dans leurs monastères et leurs couvents. Les traditions du Tibet sont vastes et profondes et ont le potentiel d'être combinées avec la science moderne.
Sa Sainteté révéla que, comme nous sommes lundi, il avait consulté ce matin ses médecins qui ont pris son pouls, examiné son urine, etc. et l'ont jugé en pleine forme. Sa Sainteté se mit à rire et s'exclama avec exubérance : "Lhamo Döndhoup kyi hee hee".
En lisant les versets des Étapes condensées de la voie, Sa Sainteté nota le respect porté aux lignées vastes et profondes de la voie vers l’éveil et à leurs pionniers, Nagarjouna et Asanga. Leur pratique permet d’accomplir les objectifs à court et à long terme.
Le verset suivant décrit les quatre grandes qualités des étapes de la voie.
Permettant de réaliser qu’aucun enseignement n’est contradictoire
Et que tous les textes sont des conseils essentiels,
Permettant de facilement trouver l’intention du conquérant,
Et de nous empêcher de chuter dans les précipices de grandes négativités.
Lorsque les vers du refrain : "Moi, un yogi, j’ai pratiqué ainsi. Toi qui aspires à la libération fais de même !" sont apparus pour la première fois, c'est ainsi que Tsongkhapa les avait écrits à l'origine, précisa Sa Sainteté. Cependant, lorsque son texte a été récité comme une prière, ces lignes ont été adaptées pour se lire comme suit : "Voilà ce qu’a fait mon vénéré et saint maître. Et moi, qui cherche la libération, je ferai de même".
Si on ne s’efforce pas de contempler les désavantages de la vérité de la souffrance,
On ne peut pas générer le souhait d’obtenir le nirvana,
Si on ne réfléchit pas à la manière dont on entre dans le samsara, l’origine,
On ne saura pas comment couper la racine du samsara.
Ce verset marque le début du chemin d'une personne d’envergure spirituelle intermédiaire.
Sa Sainteté fit remarquer que s'il était resté au Tibet, il n'aurait pas été en mesure d'approfondir et d'étendre sa compréhension du monde. En fait, en exil, il a rencontré toutes sortes de personnes de tous horizons et a appris d'elles. De plus, les innovations technologiques, telles que l'internet et les téléphones portables, lui ont permis d'échanger des points de vue avec des gens de partout.
Il rapporta des propos tenus par Appa Pant, ancien responsable politique de l'Inde dans le royaume du Sikkim, lorsqu'il lui a rendu visite à Swarag Ashram. En regardant la vue au loin, il a dit : "C'est très bien que vous restiez là, d'ici la lumière de vos paroles se répandra dans le monde entier."
À une autre occasion, un représentant du Congrès américain a fait remarquer que, bien que l'armée de libération du peuple chinois soit composée d'un million de soldats, elle ne pouvait pas surpasser l’unique Dalaï-Lama.
Avec le verset qui commence par : "La générosité est le joyau qui exauce les souhaits de tous les êtres", le texte commence à décrire la pratique des six perfections. Celles-ci comprennent la générosité, la conduite éthique, la patience et l'effort constant, pour aboutir à la concentration et à la sagesse.
La concentration est le monarque tout puissant,
Placée, elle est immuable comme une puissante montagne,
Dirigée, elle s’engage dans tout objet vertueux,
Et elle induit la béatitude grâce à la souplesse du corps de l’esprit.
La sagesse est l’œil qui perçoit la profondeur de l’ainsité,
Elle est la voie qui extirpe la racine du cycle des existences,
C’est un trésor de qualités loué dans tous les écrits,
Le flambeau renommé qui dissipe l’obscurité de l’ignorance.
Sa Sainteté fit allusion aux quatre absurdités logiques qui, selon Chandrakirti, dans son livre l’Entrée dans la voie médiane, découleraient de l'existence objective des choses. Il révéla qu'il réfléchit à ces quatre points tous les jours dans sa méditation. Que l'on pense au soi des personnes, à la conscience ou autre, poursuivit-il, tout semble avoir une sorte d'existence objective et indépendante. Lorsque l'objet de la négation apparaît à votre esprit et que vous souhaitez le réfuter, vous effectuez une analyse sur la façon dont les choses existent.
1) L'esprit de l'être arya est absorbé dans la vacuité suite à sa propre analyse pour savoir si les choses possèdent des caractéristiques intrinsèques. Si elles avaient de telles caractéristiques, celles-ci auraient été trouvées par l'esprit de l'être arya. Si les choses avaient une existence intrinsèque, l'équilibre méditatif de l'être arya sur la vacuité serait un destructeur de cette entité (ce qui est logiquement absurde).
Si les caractéristiques intrinsèques des choses devaient apparaître de manière dépendante,
Les choses en viendraient à être détruites en les réfutant ;
La vacuité serait alors une cause de la destruction des choses.
Mais c’est illogique, donc aucune entité réelle n'existe. 6.34
2) Si les choses avaient une identité intrinsèque, sans dépendre d'autres facteurs, la réalité conventionnelle devrait résister à une analyse ultime (ce qui est logiquement absurde). Si nous pouvions mettre en évidence une telle identité, elle devrait résister à l'analyse ultime. Cependant, le yogi ne trouve rien, ni ceci ni cela, qu’il puisse montrer du doigt. D'autres écoles disent que l'objet d'une cognition valide doit être quelque chose d'objectif qui existe, mais une cognition valide est une cognition d’après laquelle l'objet existe tel qu'il est perçu.
Les écoles de pensée inférieures disent qu'il devrait y avoir une cognition valide avec des caractéristiques définies d’elles-mêmes. Si tel était le cas, cet objet résisterait à l'analyse ultime. En fait, il n'y a pas d'objet qui ait une existence intrinsèque : ils sont désignés par convention.
Ainsi, lorsque de tels phénomènes sont analysés,
On ne trouve rien comme nature en dehors de l'existence.
Ainsi, la vérité conventionnelle du monde quotidien
Ne doit pas être soumise à une analyse approfondie. 6.35
Si les choses avaient un noyau essentiel en elles-mêmes, cela conduirait au sophisme logique d’une réalité conventionnelle qui résisterait à l'analyse ultime.
3) Si les choses dotées d’un noyau essentiel provenaient d'une cause, la production ultime ne pourrait être réfutée. 4) L'enseignement du Bouddha selon lequel les phénomènes sont vides de nature propre ne serait pas vrai. Lorsque nous disons que quelque chose est vide, la chose même que nous analysons est dite vide d'existence intrinsèque ou de nature propre.
Dans le contexte de l'essence, certains raisonnements interdisent
Une production à partir de soi ou d'autre chose.
Et ce même raisonnement les rejette également au niveau conventionnel.
Alors, par quels moyens votre production est-elle établie ? 6.36
Les choses vides qui dépendent de conditions,
Telles que les reflets et ainsi de suite, ne sont pas inconnues. 6.37
Sa Sainteté conclut qu'en réfléchissant davantage sur les versets qui clôturent le chapitre six de l’Entrée dans la voie médiane, il aspire à atteindre le chemin de la vision.
Ainsi éclairé par les rayons de la lumière de la sagesse,
Le bodhisattva voit aussi clairement qu'une groseille à maquereau sur sa paume ouverte
Que les trois domaines dans leur totalité sont sans naissance, dès leur origine,
Et par la force de la vérité conventionnelle, il voyage vers la cessation. 6.224
Bien que son esprit puisse se reposer continuellement dans la cessation,
Il génère également de la compassion pour les êtres dépourvus de protection.
En progressant davantage, il surpassera aussi par sa sagesse
Tous ceux qui sont nés de la parole du Bouddha et les bouddhas intermédiaires. 6.225
Et comme un roi des cygnes qui s'envole devant les autres cygnes accomplis,
Avec les ailes blanches de la vérité conventionnelle et de l’ultime déployées,
Propulsé par les vents puissants de la vertu, le bodhisattva voyage
Vers l'excellente rive lointaine, les océans de qualités des conquérants. 6.226
Il ajouta que Chandrakirti met en garde que l’ainsité, telle qu'elle a été expliquée, est des plus profondes et des plus terrifiantes, mais que les personnes ayant une familiarisation passée la réaliseront certainement, alors que d'autres, malgré un vaste apprentissage, ne parviendront pas à la comprendre.
Sa Sainteté entreprit ses préparatifs pour les rites préliminaires de l'initiation d'Avalokitéshvara qu'il donnera demain. Pendant ce temps, l'assemblée récita "Om mani padmé houng". Il les encouragea à entrer dans le mandala pour s'assurer qu'ils seront pris en charge par Avalokitéshvara une vie après l’autre.
Les rites préliminaires comprenaient la génération de l'esprit d'éveil de la bodhichitta, la distribution d'eau bénie, de cordelettes de protection, ainsi que de brins d'herbe kousha courts et longs. Les personnes furent encouragées à examiner leurs rêves.
En clôturant la journée, Sa Sainteté dit à l'assemblée :
"Nous nous retrouverons demain".