Thekchèn Tcheuling, Dharamsala, Inde – « Aujourd'hui, amis du Dharma, nous allons couvrir ce qui reste de la transmission de l'Hymne à la production dépendante, annonça Sa Sainteté dès la fin du chant du Soutra du cœur.
« Comme le Bouddha le dit dans les Questions du manuscrit de Rashtrapala :
La voie est vide, paisible et non-créée.
Ne sachant pas cela, les êtres vivants vivent dans l’errance.
Mû par la compassion, il leur révéla
Des centaines de raisonnements et procédures techniques.
« Il utilisa alors différents moyens pour conduire les êtres hors de l'existence cyclique. S'il avait enseigné la vacuité au tout début, certains auraient craint qu'il préconisât le nihilisme. Au lieu de cela, il enseigna les Quatre nobles vérités, leur nature, leur fonction et leurs résultats, et révéla la vacuité lors du deuxième tour de la roue du Dharma. En conséquence, tous les adeptes de la tradition sanskrite du bouddhisme récitent le Soutra de la perfection de la sagesse en 25 vers, plus connu sous le nom de Soutra du cœur.
« On y trouve les vers suivants : "La forme est vide ; la vacuité est la forme. La vacuité n'est pas autre que la forme ; la forme n'est pas autre que la vacuité", qui résument la Perfection de la sagesse. Rien, depuis la forme jusqu'à l'esprit omniscient, ne peut être trouvé lorsqu'on le cherche, et pourtant les choses existent toujours. Toutefois elles n'existent pas comme elles apparaissent : la forme est vide. Si l'on cherche l'identité des choses, il est impossible de la trouver.
« La forme et ainsi de suite n'existent pas de leur propre côté. Mais lorsque les causes et les conditions sont réunies, nous pouvons comprendre que la forme existe en tant que désignation dépendante. Comme le dit Chandrakirti, les choses surgissent de la vacuité de manière solide.
« Je médite quotidiennement sur la vacuité, et ce depuis de nombreuses années, confia Sa Sainteté. J'ai le sentiment de pouvoir approcher le chemin de la vision et j'espère l'atteindre. Peut-être qu'en ce moment, je suis proche du chemin de la préparation. L'enseignement du Bouddha est fondé sur la raison et il peut vraiment nous aider à contrecarrer les négativités qui sont en nous.
« Il y a un verset que vous, Chinois, récitez à la fin du Soutra du cœur :
Puissions-nous être capables de dissiper les trois poison
Puisse la lumière de la vision briller avec éclat
Puissions-nous être capables de surmonter tous obstacles
Puissions-nous être capables de nous engager dans les actions des bodhisattvas.
« En fin de compte, la raison pour dissiper les trois poisons que sont l'attachement, la colère et l'ignorance, et pour cultiver la sagesse et surmonter les obstacles, c’est d’entrer dans la conduite des bodhisattvas. Et nous faisons cela avec l’intention d'aider tous les êtres à atteindre l'éveil. Pour accroître notre vision, il nous faut étudier. »
Sa Sainteté reprit sa lecture du texte à partir du verset 22. Il commenta le fait que les grands maîtres indiens, depuis plus de 2 500 ans, préconisaient de ne pas causer du tort et que, pourtant, beaucoup d'entre eux continuent à s'accrocher à l'idée d'un soi unique, séparé et autonome. D'un autre côté, le Bouddha enseigne que, même si les choses semblent exister de manière inhérente, elles sont en réalité nées d’une production dépendante.
Sa Sainteté rappela que Djé Tsongkhapa avait étudié les enseignements du Bouddha pendant de nombreuses années. Il fit observer que si vous lisez ses premiers écrits, tels que Le rosaire d'or, et que vous les comparez à des ouvrages ultérieurs tels que l’Illumination de la pensée, vous pouvez vous rendre compte de l’évolution de sa compréhension de la vue.
Manjoushri conseilla à Djé Rinpoché de partir en retraite pour s'engager dans des pratiques de purification et d'accumulation. Ce dernier répondit qu'il devait assumer ses responsabilités envers les nombreux étudiants à qui il donnait ses enseignements. Manjoushri répliqua qu'il savait parfaitement ce qui serait bénéfique pour lui et pour le Dharma.
À Weulkha, il effectua des pratiques de purification liées aux 35 Bouddhas de la Confession. Au cours d'un rêve sur Nagarjouna et ses disciples, il vit un homme au teint sombre s'avancer et toucher sa tête avec un livre. Le jour suivant, il lut le traité appelé Bouddhapalita, du nom de son auteur. Alors qu'il lisait et méditait sur le dix-huitième chapitre, Analyse du soi et des phénomènes, tout s’éclaircit d’un seul coup. Tous ses doutes, et en particulier concernant ce qui est réfuté dans la vacuité et ce qui est laissé intact, s'évanouirent sans laisser de trace.
Quand Sa Sainteté eut terminé sa lecture du texte, il se rappela, alors qu'il était encore à Lhassa, avoir un jour apaisé les protecteurs. Cette nuit-là, il fit un rêve dans lequel il récitait le dernier verset de la prière de dédicaces du Lamrim :
Quand je m'efforce d'atteindre correctement le véhicule suprême...
À travers les dix actes de l'enseignement,
Puissé-je toujours être accompagné par ceux qui ont les pouvoirs,
Et puisse un océan de bonne fortune se répandre dans toutes les directions.
Il a depuis réfléchi que cela pouvait être lié au fait d’avoir pu contribuer au bien-être du monde en partageant les enseignements du Bouddha.
Répondant aux questions de l'auditoire, Sa Sainteté souligna qu'en ce qui concerne la disparité entre l'apparence et la réalité, aujourd'hui, même les physiciens quantiques mettent en évidence une telle disparité en lien avec les objets extérieurs. Bien que les choses aient l’apparence d’une certaine existence objective, et semblent exister de leur propre côté, cette impression n'est que notre projection mentale. En relation avec notre propre esprit, lorsque les choses nous apparaissent, nous pensons que la meilleure chose à faire correspond à ce que nous voyons. Mais la réalité est différente. Comme Shantidéva le fait observer :
Tous ceux qui souffrent dans le monde souffrent à cause du désir de leur propre bonheur. Tous ceux qui sont heureux dans le monde le sont en raison de leur désir du bonheur des autres. 8/129
Que dire de plus ? Observez cette distinction : entre l’idiot qui aspire à son propre avantage et le sage qui agit pour l'avantage d’autrui. 8/130
Pour ceux qui ne parviennent pas à échanger leur propre bonheur avec la souffrance d’autrui, la bouddhéité est sans aucun doute impossible ; comment pourrait-il même y avoir du bonheur dans l'existence cyclique ? 8/131
Une question fut posée à propos de cette affirmation paradoxale qui se trouve dans les Trois principaux aspects de la voie de Tsongkhapa : « Les apparences réfutent l'extrême de l'existence, la vacuité réfute l'extrême de l’inexistence ». Sa Sainteté répondit que lorsque nous cherchons un objet désigné, nous ne pouvons rien trouver, donc l'apparence dissipe l'extrême de l'existence. Les choses n'existent pas comme elles nous apparaissent, elles sont simplement désignées en fonction d'autres facteurs. Cela permet de dissiper l'extrême de l’inexistence. Dire que les choses sont désignées de manière dépendante ne rejette en rien leur existence même.
Sa Sainteté ajouta qu'au fur et à mesure que notre compréhension sur la désignation dépendante s'approfondira, il en sera de même pour notre compréhension de la manière dont la vacuité dissipe l'extrême de l’inexistence et dont l'apparence dissipe l'extrême de l'existence.
Sa Sainteté concéda qu'il est bénéfique qu'un maître et ses disciples puissent se rencontrer en personne, ce que les événements récents ont rendu plus compliqué. Cependant, il souligna qu'aucun d'entre nous n'avait rencontré le Bouddha ou Nagarjouna, et pourtant leurs enseignements nous ont été transmis de manière efficace et nous avons la possibilité de les étudier.
Invité à donner son avis sur la manière de gérer les différends, Sa Sainteté fit remarquer que, de nos jours, les désaccords sur les vues philosophiques sont rares. Les différends portent bien plus sur des problèmes au quotidien quant aux moyens de subsistance, et autres. Il nota que les différentes traditions religieuses certes adoptent des positions philosophiques différentes, elles partagent pourtant un message commun sur l’importance d’avoir de la compassion et d’aider autrui.
Il fit remarquer qu'il était plus courant de considérer nos proches parents en fonction de leur bienveillance à notre égard que de la souffrance qu'ils peuvent endurer. Il souligna que l'essence des vœux de bodhisattva est d'éviter de nuire aux autres et de les aider chaque fois que cela est possible.
Il rappela à ses auditeurs que s'ils veulent éliminer les trois poisons précédemment mentionnés dans le verset, ils doivent développer la lumière de la sagesse. Il revint sur le fait que le matin au réveil, il générait tout d'abord la bodhicitta et rafraîchissait ses vœux de bodhisattva. Il récite ensuite l’Hymne à la production dépendante et des versets connexes de Nagarjouna avant de réfléchir à la nature de la personne.
Si l'on ne comprend pas tout de suite les explications d'un lama, il conseilla d'écouter et d’y réfléchir encore et encore. Il se peut cependant que ce qui a été enseigné soit en contradiction avec ce qui est expliqué dans les grands traités. La clé est de ne pas accepter ce que quelqu'un dit sans le remettre en question. Vous devez l'examiner et faire usage de la raison.
Alors que la session touchait à sa fin, Sa Sainteté annonça qu'il allait revoir le yoga de l'esprit d’éveil universel qu'il avait enseigné hier. Il suggéra que les disciples du Bouddha ne devaient pas nuire aux autres et devaient faire preuve de patience lorsque les autres leur nuisent ; ils devaient s'efforcer de cultiver la bodhicitta, en aspirant à devenir un bouddha pour le bien de tous les êtres. Cette bodhicitta orientée vers l'éveil se transforme en un disque de lune blanche au niveau du cœur.
Ensuite, il encouragea à examiner qui est le je qui aspire à réaliser l’éveil. Il recommanda de réfléchir à un verset des Stances fondamentales de Nagarjouna :
Ni les agrégats, ni différent des agrégats,
Les agrégats ne sont pas (dépendants) de lui, pas plus qu’il n'est (dépendant) des agrégats.
Le Tathagata ne possède pas les agrégats.
Le Tathagata, qu'est-il d’autre ? XXII/1
En réfléchissant au vide d'existence primordiale de toute chose, l'esprit méditant sur la vacuité se transforme en un vajra blanc debout sur la lune au niveau du cœur.
« Je fais cette pratique tous les jours, déclara Sa Sainteté, et vous aussi pouvez la faire aussi souvent que possible. »
Il récita une prière de dédicaces et la session du jour prit fin.