Thekchèn Tcheuling, Dharamsala, Inde – Après que Sa Sainteté le Dalaï-Lama est entré dans la pièce de sa résidence pour donner les enseignements ce matin, il salua les étudiants tibétains qu'il pouvait voir sur les écrans devant lui et s'assit. Ils chantèrent quelques prières, dont l'offrande de mandala, et il commença.
« Aujourd'hui, cet enseignement est principalement destiné aux jeunes Tibétains. Le mot Dharma existe depuis plusieurs milliers d'années. Nous sommes maintenant au XXIe siècle et la science et la technologie ont fait des progrès considérables. On peut se demander si la religion est toujours d'actualité ?
« Depuis des milliers d'années, la religion est une chose sur laquelle les gens comptent lorsqu'ils sont confrontés à des difficultés. Il y a maintenant plus de sept milliards d'êtres humains sur cette terre. Certains croient en la religion et d'autres non, certains y sont opposés et d'autres indifférents. Cependant, tous veulent être heureux et éviter la souffrance. Ceux qui y sont opposés ou indifférents sont-ils plus heureux que les autres ? En général, il semble que ceux qui s'appuient sur une pratique religieuse soient plus satisfaits.
« Dès notre naissance, l'amour et la compassion sont importants pour nous comme base de notre survie. C'est la nature humaine fondamentale d'être compatissant. Les scientifiques disent que puisque les êtres humains sont des créatures sociales, ils se soucient naturellement des autres. Ce qui est clair, c'est que nous ne pouvons pas survivre par nous-mêmes.
« La religion n'existe que chez les êtres humains, mais même les animaux éprouvent des émotions destructrices comme la colère et l'attachement. Nous parlons de personnes en colère ou de personnes superstitieuses avec une certaine méfiance, mais celles qui sont gentilles sont appréciées de tous.
« L'amour et la compassion sont communs à toutes les religions, mais ahimsa, la non-violence, enracinée dans karouna, la compassion, appartiennent à la tradition indienne. Et l'enseignement du Bouddha est basé sur la tradition indienne.
« Les traditions théistes qui croient en un Dieu créateur plein d'amour aspirent à être comme lui. Dans le bouddhisme tibétain, nous avons des divinités courroucées à cause de la pratique tantrique qui consiste à amener la colère sur le chemin. D'un point de vue ordinaire, les trois poisons, la colère, l'attachement et l'ignorance, doivent être éliminés de l'esprit, mais d'un point de vue tantrique, ils peuvent être transformés. Tout comme le poison est transformé en médecine, il existe des moyens de transformer les émotions destructrices en chemin. »
Sa Sainteté cita le célèbre vers de Matrceta :
Les bouddhas ne lavent pas les mauvaises actions avec de l'eau,
Ils n'enlèvent pas non plus les souffrances des êtres avec leurs mains,
Ils ne transposent pas non plus leur propre réalisation dans les autres.
En enseignant la vérité de l’ainsité, ils libèrent (les êtres).
Les Bouddhas aident les êtres en partageant avec eux l'enseignement sur l’ainsité. Ils partagent leur expérience de la voie, la façon dont ils ont pratiqué et obtenu l’éveil. Sa Sainteté suggéra que toutes les traditions religieuses puissent partager la fonction du Dharma, qui est de nous protéger des états de peur. Le mot dharma transmet le sentiment d’une transformation de l'esprit.
« Si vous êtes gentil et affectueux, vous serez heureux et les gens autour de vous seront heureux. La transformation n'est pas le résultat de la prise de médicaments, c'est un travail avec l'esprit. Notre objectif est donc de promouvoir et d'accroître l'amour et la compassion dans l'esprit. En même temps, nous devons réduire la colère, la jalousie et l'attachement.
« Nous avons beaucoup d'émotions et certaines d'entre elles perturbent notre paix de l'esprit. Elles proviennent d'idées fausses, d'une vision inappropriée de la réalité.
« Les traditions palie et sanskrite du bouddhisme enseignent toutes deux les trois entraînements : l'éthique, qui consiste essentiellement à ne pas faire de mal ; la concentration, qui implique de tourner l'esprit vers l'intérieur, et la sagesse. À l'heure actuelle, notre esprit est distrait par différentes perceptions sensorielles. Les troubles mentaux ne sont pas dus à des perceptions sensorielles mais à la conscience mentale.
« La concentration en un point est cultivée sur la base de l'éthique. Il est bon d'essayer de la développer tôt le matin. Concentrez l'esprit en vous. En l'absence de distractions, vous pouvez éprouver un sentiment de vacuité. Prenez cela comme objet de méditation. Analysez la nature de l'esprit. Concentrez-vous sur sa clarté et sa conscience. Vous pouvez également analyser ce que sont le bonheur et la souffrance. »
Sa Sainteté observa que le bonheur et la souffrance ont des aspects physiques et mentaux. Il cita un verset des Stances fondamentales de la voie médiane de Nagarjouna qui dit : « Par l'élimination du karma et des émotions perturbatrices, il y a libération. Le karma et les émotions perturbatrices proviennent des pensées conceptuelles. Celles-ci proviennent de la fabrication mentale et la fabrication cesse par la réalisation de la vacuité. »
En raison du karma négatif, les actions négatives, nous errons dans le cycle des existences. La libération ne peut être atteinte qu'en éliminant le karma et les émotions perturbatrices. Les perturbations mentales sont enracinées dans l'ignorance qui croit que les choses existent telles qu'elles apparaissent. Nagarjouna écrit que les perturbations mentales proviennent de pensées conceptuelles qui sont le fruit d'une fabrication mentale exagérée. De telles idées fausses ne peuvent être éliminées que par la compréhension de la réalité.
Sa Sainteté fit remarquer que la physique quantique affirme que bien que les choses semblent avoir une existence objective, lorsque nous les analysons, rien n'a d'existence objective. Raja Ramanna lui a dit que si la physique quantique était nouvelle en Occident, on trouve des pensées similaires dans l'Inde ancienne. Selon l'école de la Voie du milieu, on ne peut parler de l'existence des choses que dans le contexte de l'esprit qui perçoit. L'école de l'Esprit seul affirme que les objets ne sont que le reflet du sujet qui perçoit.
La référence dans le Soutra du cœur à l'absorption du Bouddha dans l'Illumination du Profond pourrait être interprétée comme se rapportant aux deux vérités, la vérité conventionnelle et la vérité ultime. Les choses existent et nous affectent, mais lorsque nous les recherchons, elles sont introuvables.
Sa Sainteté cita un autre verset des Stances fondamentales de Nagarjouna relatif au Tathagata.
Ni un avec les agrégats, ni différent des agrégats ;
Les agrégats ne sont pas en lui, et il n'est pas non plus dans les agrégats ;
Le Tathagata ne possède pas les agrégats.
Qu'est-ce que le Tathagata, sinon ?
Il mentionna ensuite qu'il le réécrit souvent pour faire référence à lui-même, pour y réfléchir en conséquence :
Je ne suis ni avec les agrégats, ni différent des agrégats ;
Les agrégats ne sont pas en moi, et je ne suis pas non plus dans les agrégats ;
Je ne possède pas les agrégats.
Que suis-je d'autre ?
« Nous avons une forte sensation du "je", expliqua Sa Sainteté, mais lorsque nous le recherchons, certains disent qu'il s'agit d'un des agrégats psychophysiques, comme la conscience mentale. Cependant, nous parlons de "moi", "ma conscience" et "ma parole" comme s'il y avait un propriétaire.
« Dans sa première série d'enseignements, le Bouddha a révélé les Quatre nobles vérités. Le Continuum Sublime, qui appartient au troisième cycle, explique que les souillures mentales, basées sur l'ignorance, une mauvaise conception de la réalité, sont fortuites. Plus on y réfléchit, plus il est clair que les choses n'existent pas telles qu'elles apparaissent.
« Le deuxième tour des enseignements du Bouddha présentait la perfection de la sagesse en termes de raison et de logique. C'était l'approche adoptée par les maîtres de l'université de Nalanda, une approche qui a été transmise au Tibet.
« Tous ceux qui étudient les textes de la Voie du milieu (Madhyamaka) considèrent Nagarjouna comme un second Bouddha. Il a résumé la perfection de la sagesse dans son ouvrage Les stances fondamentales de la voie médiane. Aryadéva et Bouddhapalita l'ont suivi, mais le maître suprême parmi les maîtres de l'école de la Voie du milieu était Chandrakirti. Je continue à lire et à étudier son autocommentaire de l’Entrée à la Voie médiane ainsi que les six recueils du raisonnement de Nagarjouna.
« Shantarakshita a établi une approche de l'étude et de la formation qui consiste à développer la compréhension par la lecture et l'écoute, à approfondir cette compréhension par la réflexion, à utiliser la raison et la logique, et à en faire l'expérience par la méditation.
Il serait bon que les étudiants des écoles tibétaines puissent étudier le deuxième chapitre du Compendium de la cognition valide de Dharmakirti, qui élucide le verset de salutation du Compendium de la logique de Dignaga. Il explique en quoi le Bouddha est fiable, compatissant et comment il est devenu un enseignant et un protecteur. Si vous l'étudiez, vous serez équipé pour vérifier si quelqu'un est qualifié pour être enseignant ou non.
« Au Tibet, nous avons maintenu de solides traditions d'étude et de méditation. Djé Tsongkhapa s'est intéressé à la voie du milieu dès son enfance. Lama Oumapa avait des visions de Manjoushri depuis qu'il gardait des moutons quand il était enfant. Il a aidé Djé Rinpoché à poser des questions à Manjoushri. En une occasion, Djé Rinpoché a décrit sa compréhension de la vision correcte et a demandé si elle était en accord avec la voie du milieu ou celle de l'Esprit seul. Manjoushri lui a répondu que ce n'était ni l'une ni l'autre et lui a donné une instruction laconique. Lorsque Tsongkhapa lui rapporta qu'il était incapable de la comprendre, Manjoushri lui conseilla de faire retraite pour purifier les négativités et accumuler sagesse et mérite.
« Tsongkhapa a suivi ce conseil et au cours de sa retraite, alors qu'il lisait le commentaire de Bouddhapalita sur Les stances fondamentales de Nagarjouna, il a fini par obtenir une compréhension de la vacuité. Il a ressenti une telle gratitude et un tel respect pour le Bouddha qu'il a composé ce texte, La louange à l’interdépendance. Je l'ai reçu de mon tuteur principal, Ling Rinpoché. »
Sa Sainteté prit le texte et lut les huit premiers versets qui célèbrent le Bouddha pour avoir révélé la production en interdépendance, « dont la compréhension détruira l'ignorance ». Faisant écho au verset de Nagarjouna :
Il n'est rien
Qui ne soit pas produit en dépendance.
Par conséquent, il n'est rien
Qui ne soit vide.
Tsongkhapa écrit : « Tout ce qui dépend de conditions est dénué d'existence intrinsèque ».
Sa Sainteté répondit à plusieurs questions de son auditoire virtuel. À cette occasion, elles furent posées par des étudiants de l'Institut d'enseignement supérieur du Dalaï-Lama au Karnataka et de l'école supérieure TCV à Dharamsala.
Interrogé sur la façon d'appliquer la compassion et la production en dépendance dans la vie quotidienne, Sa Sainteté reconnut que nous avons tous des attitudes de chérissement de soi-même. Cependant, si nous considérons notre dépendance mutuelle, nous comprendrons à quel point il est important de chérir les autres. Il nota que dans son Entrée à la Voie médiane, Chandrakirti ne tarit pas d'éloges sur la compassion. Pour les bodhisattvas, la compassion se focalise sur les êtres, tandis que la sagesse se focalise sur l’éveil.
Comparant la science moderne à la science bouddhiste, Sa Sainteté fit remarquer que la première s'intéressait principalement à l'étude des phénomènes physiques. Aujourd'hui, cependant, les scientifiques commencent à s'intéresser davantage à la conscience mentale. Richie Davidson et ses collègues ont examiné comment la méditation affecte le cerveau. D'autres se penchent sur le phénomène de "touk-dam" qui se produit lorsque des pratiquants expérimentés restent en absorption méditative après la mort clinique. Il mentionna le cas actuel d'un Guéshé décédé à Taiwan.
« Lorsque nous nous endormons, expliqua Sa Sainteté, nos perceptions sensorielles s'arrêtent et notre état d'esprit est plus subtil que l'état de veille. Lorsque nous rêvons, c'est un peu plus grossier, mais dans le sommeil profond, un état d'esprit subtil se manifeste. Les scientifiques étudient actuellement ces différents états d'esprit. En ce qui concerne le fonctionnement de l'esprit et des émotions, l’ancienne compréhension indienne était avancée. La science moderne continue de rattraper son retard. »
Sa Sainteté expliqua que l'existence des vies passées et futures est basée sur la conscience et non sur quelque chose de physique. Il cita comme preuve les souvenirs des gens de leurs vies antérieures. Ce qui passe d'une vie à l'autre, précisa-t-il, c'est la conscience subtile. Il rappela que sa mère lui avait dit qu'enfant, il avait des souvenirs de sa vie antérieure. Il mentionna la réincarnation d'un Guéshé de Gandèn Shartsé né à Lhassa, qui se souvenait clairement de l'endroit où il avait vécu dans son monastère en Inde du Sud.
Sa Sainteté suggéra que la littérature bouddhiste soit classée sous trois rubriques : science, philosophie et religion. Un élève de l'école supérieure TCV demanda à quelle catégorie appartient le texte qu'il explique. Sa Sainteté répondit que dans le bouddhisme, la vue philosophique est toujours importante. Il suggéra que de nombreux textes de la tradition rationnelle et logique de Nalanda incorporent des facteurs appartenant aux trois catégories – science, philosophie et religion. Il se présenta ensuite comme un scientifique, un philosophe et un moine bouddhiste.
Invité à comparer le rôle d'un Dieu créateur et la vision bouddhiste de la causalité, Sa Sainteté confirma que pour les bouddhistes, le bonheur et la souffrance sont le résultat du karma, ou action. Le karma positif engendre le plaisir et le bonheur ; la souffrance est le résultat d'une action négative. Il précisa que les choses découlent à la fois de causes substantielles et de conditions coopératives. Dans ce contexte, le monde extérieur peut être considéré comme une condition coopérative pour notre bonheur.
Enfin, Sa Sainteté conseilla à quelqu'un qui voulait savoir quelle différence cela faisait de croire ou non au Bouddha, au Dharma et à la Sangha, d'examiner ses compagnons et sa propre vie. Qui parmi vous est le plus calme ? demanda-t-il.
Sa Sainteté nota qu'il avait lu jusqu'au huitième verset et qu'il s'arrêterait là pour la journée.