Thekchèn Tcheuling, Dharamsala, Inde – Quand Sa Sainteté le Dalaï Lama eut pris place ce matin, il fut accueilli par Mme Wee Nee Ng au nom des étudiants bouddhistes de six pays asiatiques : Singapour, la Thaïlande, la Malaisie, l'Indonésie, le Vietnam et Hong Kong. Elle expliqua que les moines d'un centre de méditation à Chiang Mai, en Thaïlande, chanteraient d'abord le Mangala Soutta en pali. Ils seraient suivis par deux moniales d’un monastère en Malaisie, qui réciteraient le Soutra du cœur en chinois.
Sa Sainteté commença par rappeler à ses auditeurs que le Bouddha a tourné la roue du Dharma il y a plus de 2 500 ans. « Aujourd'hui, nous sommes témoins d'un grand développement matériel, mais il détourne les gens de la véritable source du bonheur. De nombreuses personnes qui suivent une tradition religieuse pensent que c’est important de maintenir un équilibre émotionnel.
« Les Quatre nobles vérités sont à la base des enseignements du Bouddha, et ce que vous suiviez la tradition palie ou sanskrite. Il a enseigné sur la souffrance, son origine, sa cessation et la voie à suivre. Lorsque nous cherchons à déterminer les causes de la souffrance, nous entrons dans le domaine de la psychologie, qui traite du fonctionnement de l'esprit. Parmi les causes de la souffrance, les émotions destructrices, telles que l'attachement et la colère, sont importantes. Ces émotions n’appartiennent pas à la nature de l'esprit. Elles surgissent en raison de notre façon de comprendre l'apparence des choses.
« Nagarjouna affirme que les causes de la souffrance sont le karma et les émotions perturbatrices, ou destructrices, qui à leur tour sont enracinées dans l'ignorance. Le Bouddha a enseigné qu'il est possible de parvenir à la cessation de la souffrance par l'élimination des émotions perturbatrices. Il l'a expliqué de manière très complète dans les enseignements de la perfection de la sagesse et a décrit le chemin en cinq points auquel fait allusion le mantra du Soutra du cœur.
« Les émotions perturbatrices sont dues à l'ignorance – notre idée fausse sur la façon dont les choses existent. Aujourd'hui, la physique quantique déclare que les choses n'existent pas telles qu'elles apparaissent. Dans le Soutra du cœur, nous trouvons une expression de la vacuité en quatre parties :
La forme est vide ; la vacuité est forme. La vacuité n'est pas autre que la forme ; la forme n'est pas non plus autre que la vacuité.
« En révélant l'apparition en dépendance, le Bouddha a montré qu'il est possible de surmonter les extrêmes de l'éternalisme et du nihilisme.
« Atteignant des pays comme la Chine, le Vietnam et le Japon, ainsi que la Birmanie, la Thaïlande et le Sri Lanka, les enseignements du Bouddha se sont répandus à travers l'Asie. La tradition palie et la tradition sanskrite ont ainsi vu le jour. Le sanskrit est considéré comme une langue savante et la tradition repose sur l'utilisation de la logique et de la raison. Suivant le propre conseil du Bouddha de ne pas accepter ses paroles sans les avoir examinées comme un orfèvre teste l'or, les adeptes de la tradition sanskrite examinaient même les instructions du Bouddha et les classaient comme soit définitives, soit nécessitant une interprétation. Cela s'apparentait à une approche scientifique.
« Selon l'explication du Bouddha sur l'apparition en dépendance, les choses n'existent pas en elles-mêmes. Elles n'existent que par désignation, par des concepts et des étiquettes. La forme n'a pas d'existence intrinsèque. Comme l'indique le Soutra du cœur, "la forme n'est pas autre que la vacuité ; la vacuité n'est pas autre que la forme". Cela s'oppose aux deux extrêmes que sont la permanence et le nihilisme. »
En ce qui concerne Nagarjouna, Sa Sainteté dit que nous n'avons pas besoin de nous fier aux biographies pour savoir quel genre d'homme il était. Nous pouvons lire ses six principales compositions. Ensuite, Chandrakirti et Bouddhapalita, des érudits de renom, ont écrit des commentaires sur ses Stances fondamentales de la voie médiane. Ils ont adopté une approche dialectique, réfutant les positions des autres, affirmant les leurs et réfutant les critiques ultérieures.
Sa Sainteté mentionna que dans les monastères rétablis en Inde aujourd'hui, il y a un nombre croissant de moines et de moniales, dont lui-même, qui ont mémorisé Les stances fondamentales de Nagarjouna. D'autres ont mémorisé l’Ornement des réalisations claires et l'Entrée dans la Voie médiane. Et ayant mémorisé ces traités, ces étudiants étudient les commentaires de Bouddhapalita, Bhavavivéka, Chandrakirti, etc. en examinant ce qu'ils ont écrit à la lumière de la raison. C'est l'approche recommandée par Shantarakshita lorsqu'il a établi le bouddhisme au Tibet.
Sa Sainteté cita le verset de l’Entrée dans la Voie médiane de Chandrakirti et les références dans son autocommentaire qui critique Vasoubandhou, Dignaga et Dharmapala pour avoir mal compris l'intention de Nagarjouna. Ils n'en ont pas saisi le sens réel, car ils ont été alarmés par ses paroles et ont rejeté son enseignement qui transcende le monde.
Terrifiés par la couleur aveuglante de l'océan de sagesse de Nagarjouna,
Certains ont fui et gardé leurs distances par rapport à cette merveilleuse tradition.
Pourtant, humidifiées par la rosée, ces strophes se sont ouvertes comme les bourgeons des nénuphars.
Ainsi, les espoirs de Chandrakirti se sont maintenant réalisés. [11.54]
Il nota que Les stances fondamentales ont été traduites en chinois et, par conséquent, également en vietnamien, en japonais et en coréen. Cependant, la question cruciale est que nous devons maintenant les lire et les étudier. Tous les adeptes de la tradition sanskrite récitent le Soutra du cœur, mais peu l'étudient. Un abbé japonais a dit un jour à Sa Sainteté que bien que ses moines et ses disciples récitaient régulièrement le Soutra du cœur, ils le faisaient sans en comprendre le sens. Par conséquent, il a vraiment apprécié que Sa Sainteté leur explique ce qu'il signifie.
Sa Sainteté rapporta que lorsqu'il mémorisait l’Entrée dans la Voie médiane lorsqu'il était petit garçon, il y avait un mot ou une phrase particulière qu'il trouvait difficile. Il s’était alors mis en colère et avait effacé les mots de son livre. Plus tard, lorsqu'il étudia le traité et acquit une certaine compréhension, il apprit à apprécier en quoi l'apparition en dépendance révèle la relativité des choses.
Dans son œuvre, les 400 Stances, Aryadéva nous dit :
Comme le sens tactile [recouvre] le corps
L'ignorance est présente dans toutes [les émotions perturbatrices].
En vainquant l'ignorance, vous allez aussi
Surmonter toutes les émotions perturbatrices.
« Cela signifie que, bien qu'il existe des moyens spécifiques pour contrer la colère et l'attachement, en parvenant à comprendre la vacuité et l’apparition en dépendance, il est possible d'éradiquer toutes les émotions destructrices.
« Nagarjouna explique que nous errons dans le cycle des existences à cause du karma négatif, les actions négatives, et la libération ne peut être atteinte qu'en éliminant le karma et les émotions perturbatrices. Il écrit que les perturbations mentales sont enracinées dans l'ignorance qui croit que les choses existent telles qu'elles apparaissent. Les perturbations mentales naissent des pensées conceptuelles qui sont le résultat d'une fabrication exagérée. Ces idées fausses ne peuvent être éliminées qu'en comprenant la réalité.
« Nous nous accrochons à l'idée que les choses existent intrinsèquement et indépendamment. Des émotions destructrices telles que l'attachement et la colère naissent à cause de cette vision exagérée. »
Sa Sainteté se dit content de pouvoir se connecter avec les gens sur Internet, surtout à un moment où la pandémie rend impossible les rencontres réelles. Il fit remarquer que les traditions religieuses théistes telles que le christianisme aident un grand nombre de personnes parce qu'elles enseignent l'importance de l'amour et de la compassion. Les adeptes du bouddhisme, en particulier ceux qui suivent la tradition sanskrite, devraient combiner l’entraînement à l'amour et à la compassion avec la compréhension de la vacuité.
« Les gens veulent trouver la paix de l'esprit, déclara-t-il, il n'y a personne qui ne veuille pas le bonheur. L'aspect religieux du bouddhisme est pour les bouddhistes, mais les idées scientifiques et philosophiques peuvent être utiles à tout le monde. »
Passant aux 37 pratiques des bodhisattvas, Sa Sainteté mentionna que l'auteur Gyalsey Thogmé Sangpo était un contemporain de Butön Rinchèn Droup. Il vivait à Ngoulchou, c'est pourquoi ce mot est parfois ajouté à son nom, dont la première partie, Gyalsey, fait référence au fait qu'il a été largement considéré comme un bodhisattva. Sa Sainteté précisa que parmi les huit proches disciples du Bouddha, Lokéshvara était chargé de préserver la compassion, c'est pourquoi la salutation au début de ce texte lui rend hommage.
Sa Sainteté lut sans interruption les versets qui révèlent que l'étude de l'enseignement du Bouddha, l'abandon de sa patrie, la recherche de la solitude pour pratiquer et le lâcher prise de cette vie font partie des pratiques des bodhisattvas. Il cita l'observation de Goungthang Rinpoché selon laquelle ce ne sont pas les amis hostiles qui ont des cornes et des crocs, ce sont ceux qui prétendent prendre soin de vous, mais qui vous égarent.
Le sixième verset fait référence au fait de s'appuyer sur un maître spirituel qui doit être non seulement quelqu'un d'instruit, mais aussi doté d’une expérience personnelle. Djé Tsongkhapa a fait remarquer que dans sa propre vie, il a beaucoup étudié, en est venu à considérer tous les enseignements comme des instructions personnelles, les a appliqués et en a fait l'expérience en lui-même.
Les versets suivants disent que si vous rendez les autres malheureux, il y aura de mauvaises conséquences pour vous ; ne faites jamais de mal. Aspirez à obtenir la cessation. Le neuvième verset résume le chemin commun aux êtres de capacité intermédiaire. L'essentiel du verset suivant est que si, grâce à la pratique de l'amour et de la compassion, il y a une atmosphère affectueuse autour de vous, vous serez heureux. Sa Sainteté rappela le conseil de Shantidéva :
Pour ceux qui manquent d’échanger leur propre bonheur contre la souffrance des autres, la bouddhéité est certainement impossible – comment pourrait-il y avoir du bonheur dans l’existence cyclique ?
Ce conseil est repris dans le verset 11. Plus vous serez bienveillant avec les autres, plus vous en tirerez profit. Nous avons tous un intérêt personnel naturel ; la méthode sage pour le satisfaire est de servir les autres. Les versets suivants recommandent de parler des bonnes qualités des autres, et de considérer ceux que vous avez aidés et sont hostiles en retour comme étant aussi bienveillants que votre mère. Ils conseillent de ne pas se décourager, ni de devenir vaniteux. En rassemblant la milice de l’amour bienveillant, domptez votre propre esprit. Considérez les plaisirs sensuels comme de l'eau salée.
Lorsque vous méditez, restez dans une absorption semblable à celle de l'espace, mais dans la période qui suit la méditation, considérez les choses comme des illusions, dont les apparences sont liées à votre propre esprit. Rappelez-vous que l'apparence des choses dépend de l'observateur. Si vous considérez les choses séduisantes comme illusoires, renoncez à vous y attacher. Telles sont les pratiques des bodhisattvas.
Sa Sainteté s’arrêta après le verset vingt-trois, promettant de reprendre demain. Il invita le public à poser des questions. La première concernait la manière d'assurer de bonnes renaissances à l'avenir. Dans sa réponse, il cita Maitréya qui a dit : Je m'incline devant la bodhicitta qui mène des mondes inférieurs aux mondes supérieurs et finalement à l'état d'immortalité. Moins vous êtes égoïste, plus vous serez heureux. Si vous aidez les autres, vous obtiendrez les causes d'une renaissance supérieure. Au moins, soyez chaleureux et ne faites pas de mal aux autres.
En répondant à une question sur la façon dont un débutant pourrait comprendre les trois principaux aspects de la voie, Sa Sainteté passa d'abord en revue leur définition : la détermination d’être libre, l'esprit d'éveil de la bodhicitta et une vue correcte. Il précisa que pour comprendre la véritable cessation, en tant qu'une des Quatre nobles vérités, il est nécessaire de comprendre les deux vérités – la vérité conventionnelle et la vérité ultime. Sa Sainteté fit remarquer qu'il réfléchissait depuis longtemps à ces deux vérités. Examinez comment les choses existent, conseilla-t-il. Elles changent parce qu'elles n'existent pas intrinsèquement. Lorsque vous comprendrez les deux vérités, vous comprendrez que la cessation de la souffrance est possible.
À la question de savoir comment aider les personnes qui sont excessivement nombrilistes, Sa Sainteté répondit que lorsque les individus sont trop égoïstes et arrogants, les autres craignent de les approcher. Il déclara que nous sommes tous égoïstes dans une certaine mesure, mais qu'être sagement égoïste implique de se préoccuper des autres.
Sa Sainteté observa qu'un problème sous-jacent dans le monde d'aujourd'hui est le fossé béant entre les riches et les pauvres. Il encouragea les riches à fournir une aide matérielle aux nécessiteux, mais aussi à prendre des dispositions pour leur éducation. Il déclara que depuis qu'il a appris à connaître le socialisme en Chine, il se considère comme un socialiste. En ce qui concerne la pandémie, il se dit satisfait des recherches en cours pour trouver des remèdes. En attendant, le public doit continuer à prendre toutes les précautions nécessaires pour se protéger et protéger les autres.
La question de savoir comment les enfants peuvent grandir heureux passe par l'éducation. L'éducation moderne, d’origine occidentale, est largement axée sur le développement matériel. Cependant, en Inde et dans d'autres sociétés asiatiques, il existe une tradition d'apprentissage de la pacification des émotions négatives. Pour ce faire, il est important d'apprendre à connaître le fonctionnement de l'esprit et des émotions, ainsi que d'apprendre à les aborder d'une manière que Sa Sainteté appelle « cultiver l'hygiène émotionnelle ». Les enfants ont tendance à être naturellement purs et à avoir le cœur ouvert. Sa Sainteté souligna l'importance de préserver et d'améliorer ces qualités.
Enfin, Sa Sainteté fut invité à donner son avis sur l'évolution de la situation à Hong Kong. Il commença par faire remarquer qu'en plus de tous les autres problèmes auxquels nous sommes confrontés, il y a les troubles provoqués par les politiciens. L'influence chinoise à Hong Kong s'accroît, mais il exhorta les Hongkongais à ne pas se laisser troubler émotionnellement. « Cherchez des solutions aux problèmes auxquels vous êtes confrontés. S'il existe un remède, il n'y a pas lieu de s'inquiéter. S'il n'y a pas de remède, s'inquiéter ne sert à rien. Face à un problème, il est nécessaire de trouver un moyen de le surmonter. Dans le cas d'un défi comme le changement climatique, il se peut qu'il soit hors de contrôle. Néanmoins, vous avez l'esprit vif et le cœur courageux ; ne perdez pas votre détermination à surmonter les obstacles que vous rencontrez. »