Thékchèn Tcheuling, Dharamsala, Inde – À son arrivée ce matin, Sa Sainteté le Dalaï-Lama salua les deux groupes présents dans le public virtuel composé de moines de Yunlin et de monastiques et laïcs de Taipei. Alors qu’il prenait place, ils lui firent signe de la main.
Ses premières paroles furent : « Aujourd'hui, c'est le deuxième jour de cet enseignement. Nous n'avons pas besoin d'utiliser la raison pour prouver que nous voulons être heureux, et non connaître la souffrance. » La racine de la souffrance est l’attitude intérieure du chérissement de soi et l’idée fausse de la véritable existence des personnes et des choses. On retrouve cela dans le verset que l’on dit à la fin de la récitation du Soutra du cœur :
Puissions-nous dissiper les trois poisons (colère, attachement et ignorance),
Puisse la lumière de la sagesse rayonner.
Puissions-nous surmonter tous les obstacles
Et entrer dans la conduite des bodhisattvas.
« Ces poisons ou perturbations mentales sont enracinés dans l'ignorance, qui ne sera pas éliminée en formulant des prières ou en récitant des mantras, mais en méditant sur le non-soi, c'est-à-dire en développant la sagesse. La dernière ligne fait référence au développement de la bodhicitta et à l’entrée dans la conduite des bodhisattvas.
« La raison qui nous amène à écouter ce discours aujourd'hui, c'est pour permettre à notre sagesse de rayonner. Cependant, il y a un dicton qui dit que si, après une étude assidue, vous n'avez pas été capable d'intégrer ce que vous avez appris, cela n'aura pas atteint son but. Troulshik Rinpoché, venu spécialement à Lhassa pour recevoir des enseignements sur les Étapes de la voie, avait l'habitude de me taquiner au sujet de la grande connaissance des guéshés qui ne portait point de fruit.
Djé Tsongkhapa dit dans son ouvrage Destin accompli :
Au début, je cherchais à apprendre beaucoup de choses.
Au milieu, tous les enseignements m’apparaissaient comme des instructions spirituelles.
À la fin, je pratiquais jour et nuit.
J'ai consacré toutes ces vertus à l’épanouissement du Dharma.
En y repensant maintenant, comme mon destin s'est bien accompli !
Merci beaucoup, Noble Seigneur Trésor de Sagesse !
« Nous devrions suivre ses pas. Comme l'indique l'Ornement des réalisations claires, les shravakas et les pratyékabouddhas sont dirigés vers leur objectif de libération par la compréhension de la base. Les bodhisattvas sont capables d'atteindre leur objectif d'aider les autres grâce à la connaissance de la voie. Les bouddhas sont en mesure de donner une variété d'enseignements selon les prédispositions des disciples. Le but des trois véhicules (le yana des shravakas, des pratyékabouddhas et des bodhisattvas) est de surmonter nos émotions perturbatrices et d’avoir le contrôle sur notre esprit. Pour dissiper l'obscurité de l'ignorance qui nous habite, nous devons étudier et pratiquer. Djé Rinpoché nous dit qu’il pratiquait nuit et jour.
« Je conseille aux Tibétains de devenir les bouddhistes du 21e siècle et je vous conseille de faire de même, ce qui signifie développer une compréhension juste des enseignements. Il vous faut utiliser votre intelligence pour discerner ce qui est correct de ce qui ne l’est pas et pour examiner la façon dont la pratique spirituelle peut être bénéfique aujourd'hui.
« Comme je l'ai mentionné hier, quand j'étais petit, j'ai mémorisé l'Entrée dans la Voie médiane et l’Ornement des réalisations claires. J'ai étudié la logique et la raison dans le Recueil des sujets en me basant sur le manuel de Pourbou Tchok. Au début, cela ne m'intéressait pas beaucoup, mais plus tard j'ai réalisé que ce que j'avais appris était utile.
« Tout comme Djé Rinpoché dédia ses mérites, à l’instar de Manjoushri et de Samantabhadra, les adeptes de la tradition sakya Lam Dré et les Kagyous qui suivent l’Ornement de la libération font des prières en faveur de la diffusion du Dharma pour le bien des êtres. »
Sa Sainteté reprit la lecture de L'Essence de l'excellente explication, notant qu'au début, Djé Rinpoché écrit que l'enseignement est basé sur la raison. Les textes de Dignaga et de Dharmakirti sur la logique sont très importants et Sa Sainteté encouragea de nouveau ses auditeurs à les traduire en chinois, ainsi que le Recueil des sujets de Pourbou Tchok.
« Le texte affirme que certains des enseignements donnés par le Bouddha sont considérés comme provisoires et d'autres comme définitifs. Ceux qui traitent de la réalité ultime sont définitifs, d'autres, qui ne peuvent être pris littéralement, sont provisoires.
« Le point ici est que dans son premier tour [de roue] des enseignements, le Bouddha enseigna comme si les choses avaient leurs propres caractéristiques. Mais, sur le Pic des Vautours, au deuxième tour, les enseignements sur la perfection de la sagesse, il enseigna que tout, depuis la forme jusqu’à l'esprit omniscient, est dépourvu d'une identité intrinsèque. Comme ces instructions n'étaient pas compréhensibles pour certains disciples, lors du troisième tour d'enseignements à Vaishali, il expliqua les trois natures, nature imputée, nature dépendante et nature parfaite.
Le Soutra du dévoilement du sens profond parle de la non-dualité du sujet et de l'objet, ce que la physique quantique évoque également. La forme, le son, etc. semblent avoir leur propre existence objective, mais en réalité n'existent pas de cette façon. Une analyse plus approfondie révèle qu'ils sont simplement désignés par le nom et n'existent pas tels qu'ils apparaissent. On dit que les objets extérieurs et l'esprit subjectif sont de même nature.
« Lorsque nous ressentons un attachement à quelque chose de beau, ou une aversion à quelque chose de laid, l’enseignement de l’école de l’Esprit Seul où ces choses sont juste de la nature de l'esprit réduit notre attachement ou notre aversion. »
Sa Sainteté passa à la section traitant de la vue de la voie du milieu. Il constata que l'interprétation de la voie du milieu s'appuie sur les Paroles Claires de Chandrakirti et sur le Flambeau du raisonnement de Bhavavivéka. Il est fait mention des quatre dépendances : la dépendance quant à l'enseignement et non à l'enseignant, la dépendance quant au sens et non sur aux mots, la dépendance quant au sens définitif et non au sens interprétable, et la dépendance quant à la sagesse et non à la conscience (ordinaire).
Les Stances fondamentales de la voie médiane de Nagarjouna s'ouvrent sur l'éloge du Bouddha pour son enseignement sur la production en dépendance libre des huit extrêmes :
À celui qui, montrant que ce qui se produit en interdépendance
N’a ni cessation ni naissance,
Ni interruption ni pérennité,
Ni venue ni allée,
Et n’est ni multiple ni un,
[Montre] l’apaisement des concepts, la paix,
À cet Éveillé parfait, le plus saint
Des philosophes, je rends hommage.
Et le traité se termine par une appréciation de la façon dont le Bouddha donne des enseignements pour nous débarrasser de toutes vues déformées :
À Gautama qui, par sagesse et compassion,
A enseigné le saint Dharma,
Pour éliminer toutes les opinions,
Je rends l’hommage de mes prosternations.
Du point de vue de la nature des choses, il n'y a ni naissance ni cessation. Du point de vue de l'objet, il n'y a ni allée ni venue. Du point de vue de la continuité, il n'y a ni interruption ni pérennité, et du point de vue de la désignation, les choses ne sont ni une ni multiples. Les choses surgissent et cessent, mais si vous les analysez, en essayant de trouver une apparition ou une cessation à l’intérieur d’un objet, vous ne pourrez point les trouver.
« Lorsque l'esprit est absorbé dans la réalité des choses, leur diversité disparaît, fit observer Sa Sainteté. Je ne suis pas mon corps, ma parole ou mon esprit. Ces trois éléments ne sont pas moi. Si nous cherchons le corps, la parole, l'esprit ou le je à l’intérieur des agrégats psycho-physiques, nous ne les trouverons pas.
« Les traditions non bouddhistes parlent d'une entité autre que le corps, la parole et l'esprit, qu'elles nomment atman. En tant que concept, il est utile pour comprendre les vies passées et futures. L'école de la voie médiane autonome (madhyamaka svatantrika) désigne la conscience mentale comme l'identité d'une personne qui va de vie en vie. Cependant, les conséquentialistes (prasangikas) disent qu'on ne peut rien trouver quand on le cherche. On ne peut rien trouver qui soit une entité séparée. Rien n'a d'essence en soi, par soi ou de son propre côté.
« Les choses n'ont pas d'essence en soi et par soi. Dans son Entrée dans la Voie médiane, Chandrakirti explique que si les choses avaient une existence objective, elles comporteraient quatre erreurs logiques : l'absorption méditative d’un arya sur la vacuité serait le destructeur des phénomènes ; il serait faux d'enseigner que les choses n'ont pas d'existence ultime ; l'existence conventionnelle des choses serait capable de résister à l'analyse ultime de la nature des choses, et il serait indéfendable d'affirmer que les choses sont vides en elles-mêmes et par elles-mêmes. Comme le dit Nagarjouna :
Ce qui se produit en interdépendance
Est expliqué comme étant vacuité.
Étant une désignation dépendante,
C’est cela même la voie médiane.
« La production en dépendance a le pouvoir de dissiper les deux vues extrêmes simultanément. Lorsque nous comprenons que les choses sont des productions dépendantes, nous comprenons qu'elles sont vides de toute existence intrinsèque. Lorsque nous comprenons que les choses sont dépourvues d'existence intrinsèque, cela amène à une compréhension de la dépendance. »
Sa Sainteté annonça qu'il s'arrêterait là pour la journée et répondrait aux questions du public. Discutant de la façon dont l'esprit appréhende à tort un soi indépendant des agrégats psycho-physiques, il cita le premier verset du chapitre 22 des Stances fondamentales de la voie médiane de Nagarjouna :
Il n’est pas les agrégats ; il n’est pas différent d’eux ;
Les agrégats ne se trouvent pas en lui, ni lui en eux.
Le Tathagata n’est pas le possesseur des agrégats :
Qui donc est le Tathagata ?
Il précisa qu'il revenait souvent sur ce point pour l’adapter à lui-même et y réfléchissait en conséquence :
Je ne suis ni les agrégats, ni différent des agrégats ;
Les agrégats ne se trouvent pas en moi, ni moi en eux.
Je ne suis pas le possesseur des agrégats :
Qui suis-je donc ?
Il déclara à un autre intervenant que la science moderne n'a pas encore vraiment accordé d'attention au fonctionnement de l'esprit et des émotions, bien que la valeur de la paix de l'esprit commence à être reconnue. Cependant, les scientifiques s'intéressent au concept de production en dépendance.
Il souligna que les rêves sont souvent utilisés comme analogie pour quelque chose qui n'existe pas.
Clarifiant le terme de production en dépendance, il indiqua qu’en dépendance montre que les choses ne sont pas indépendantes, alors que production montre que les choses se manifestent en dépendance. Une compréhension de la production en dépendance conduit à la compréhension de la vacuité et du fait que les choses sont relatives. Choné Lama Rinpoché dit que la dépendance ne rejette pas la vacuité, et que la production signifie que les choses sont conformes aux conventions ordinaires. La production en dépendance est un enseignement authentique du Bouddha.
« Je médite sur la vacuité depuis soixante ans et sur la bodhicitta depuis cinquante ans, dévoila Sa Sainteté. Pendant tout ce temps, ma compréhension s'est développée. Lorsque j'ai fait part de mon expérience de la vacuité à Yongzin Ling Rinpoché, il était ravi et m'a dit : "Bientôt, tu seras un yogi de l'espace". »
Il mentionna que par leur nature de bouddha, les êtres ont le potentiel d’atteindre la bouddhéité. L'éveil est possible parce que les perturbations mentales sont adventices et qu’on peut les éliminer. Lorsque les trois apparences ont cessé, aucune perturbation mentale ne survient et se manifeste alors une expérience de claire lumière.
On demanda à Sa Sainteté comment réduire la colère et l'attachement à court terme. Il répliqua qu’en comprenant que la colère, l'attachement et l'ignorance se manifestent à partir d’attitudes intérieures exagérées, ancrées dans le ressenti que les choses existent de manière indépendante, nous serons capables de les réduire. Il fit observer que les émotions perturbatrices sont fourbes et que nous devons non seulement cultiver la compréhension de la vacuité, mais également, ce qui est tout aussi important, nous familiariser à cette idée. Il nota que l'une des connotations des termes sanskrit et tibétain pour méditation est de se familiariser.
Il signala que l'idée de vacuité est relativement nouvelle pour nous, alors que nous sommes habitués à nous accrocher à la notion d'existence indépendante depuis des temps sans commencement. Nous pouvons remercier le Bouddha, Nagarjouna et Chandrakirti pour nous avoir ouvert les yeux.