Thekchèn Tcheuling, Dharamsala, Inde – En se rendant de sa résidence au temple ce matin, Sa Sainteté le Dalaï-Lama n'a pas ménagé ses efforts pour entrer en contact avec les membres du public. Dans la cour du temple, les gens se pressaient contre les balustrades en espérant attirer son regard. Il serra des mains, échangea quelques mots avec certains, tapota quelques enfants sur la joue et toucha affectueusement son front avec d'autres. Il fit de même avec les personnes assises à l'extérieur du temple en effectuant sa ronde.
Lorsque la récitation en chinois du Soutra du cœur fut terminée, Sa Sainteté demanda au maître de chant de continuer en chantant le verset final additionnel avec sa mélodie émouvante pendant qu'il terminait les procédures préparatoires pour la permission consécutive du Mahamayuri qu'il allait donner plus tard.
« D'abord, je passerai en revue le premier chapitre de la Précieuse guirlande de conseils au roi, annonça Sa Sainteté. Parce que le livre enseigne la vacuité, on l'appelle parfois l’Établissement des conventions. Il explique les causes d'un statut élevé ou d'une bonne renaissance, ce qui est important parce que sans cela, vous n'auriez pas l'intelligence qui permet de distinguer ce qui est juste et ce qui est erroné. En tant qu'êtres humains, nous avons un cerveau merveilleux, et c’est une des raisons pour lesquelles la vie humaine est précieuse. Néanmoins, il faut tout de même que nous aspirions à une bonté définitive, parce que bien qu'un statut élevé puisse apporter des avantages, même une bonne renaissance est sous l'influence du karma et des perturbations. Elle est donc encore sujette aux souffrances d'une existence conditionnée.
« Il ne suffit pas d'accumuler du mérite, il faut aussi purifier nos perturbations. Quand le Bouddha a enseigné la souffrance, l’origine, la cessation et le chemin véritables, il a également enseigné qu’il nous faut effacer les défauts dans notre esprit. En arrivant à comprendre la nature de la réalité, nous pouvons surmonter les émotions perturbatrices et l'intelligence perturbatrice.
« Les formes nous apparaissent comme ayant une existence indépendante et solide, mais l'analyse révèle qu'elles n'existent pas de cette façon. Pour atteindre la bonté définitive, vous devez comprendre la nature de la réalité. Plus vous vous plongez dans la vue correcte, plus elle devient convaincante. Rien de ce qui nous apparaît n'a d'existence intrinsèque et la réalité finale est qu'en fin de compte, tout se dissout dans l’ainsité ou vacuité, comme un nuage qui se dissout dans le vide du ciel. Par l’analyse, l'apparence d'existence intrinsèque disparaît, ne laissant rien que l'on puisse montrer du doigt pour dire "C'est ça". Demeurer en méditation sur la vacuité, c'est comme se reposer dans un état de grande félicité.
« Ce qui nous conduit au malheur, c'est notre esprit indiscipliné et agité. Les perturbations mentales trouvent leurs racines dans l'ignorance, l'idée fausse de la réalité. Mettez-y un terme et vous mettrez un terme à toutes les émotions perturbatrices. Comme l'écrit Aryadéva dans ses 400 stances :
De même que le sens tactile [imprègne] le corps
La confusion est présente dans tout [toutes les émotions perturbatrices].
En surmontant la confusion, vous pourrez également
Surmonter toutes les émotions perturbatrices.
« Pour surmonter la confusion, nous devons comprendre l’interdépendance. Lorsqu’ils enseignèrent la vacuité, Nagarjouna et ses disciples l'expliquèrent en termes d’interdépendance, parce que l’interdépendance surmonte les deux extrêmes à la fois.
« Il est crucial de reconnaître l'objet à réfuter. Chankya Rolpai Dordjé dit : "Dans notre système, les gens parlent de la vacuité, mais continuent à s'accrocher à une existence objective". Le septième Dalaï-Lama a écrit que nous voyons toutes sortes de choses, comme les chevaux, dans des rêves qui semblent exister, et pourtant ces choses n'existent pas telles qu'elles apparaissent. Ce qui apparaît comme un objet solide et indépendant est l'objet à réfuter. »
Sa Sainteté résuma avec un verset célèbre du début du texte :
Tant que les agrégats sont conçus,
La conception de moi existe.
De plus, quand la conception de moi existe,
Il y a action, et de là apparaît aussi la naissance.
Il mentionna qu’à propos de la vacuité, il y a des niveaux de compréhension grossiers et subtils. Un bodhisattva sur la première terre comprend directement la vacuité, mais on dit qu'il surpasse les êtres supérieurs du véhicule des auditeurs seulement à partie de la septième terre.
Sautant à la fin du livre, Sa Sainteté mentionna les vingt versets à partir du 466e qui expliquent les bienfaits de la bodhicitta. Il fit remarquer qu'il les récite lui-même tous les jours avec les Huit versets de l’entraînement de l'esprit, après avoir récité le Fondement de toutes les qualités.
« Je vous ai donné l'essence de ce texte, dit-il à l'auditoire. Vous avez des copies du livre, vous pouvez donc le lire vous-même, mais la question de savoir si vous allez opérer une transformation intérieure en vous fondant sur cette lecture est entre vos mains. C'est comme si vous alliez dans un marché où il y a tant de choses à vendre : que vous en achetiez ou non, c'est à vous de décider. Le Bouddha a dit aussi : "Je vous ai montré le chemin, mais la libération est entre vos mains". Des maîtres comme Nagarjouna ont écrit d'excellents traités explicatifs. Lisez-les encore et encore, et réfléchissez-y.
« J'ai dit à Tagdag Rinpoché que je trouvais très difficile la perspective de développer la bodhicitta. Il m'a dit de persévérer et que l'expérience finirait par se manifester, comme cela avait été le cas pour lui. En exil, j'ai pu étudier, méditer et cultiver la pratique et je pense que je pourrais en obtenir des fruits si je passais du temps dans une retraite fermée. Guèndune Droup, le premier Dalaï-Lama, déclara que s'il était resté dans son ermitage, il aurait pu obtenir une réalisation supérieure. Cependant, comme l'objectif général était de servir les autres, il a abandonné cette option et a fondé le monastère de Tashi Lhounpo. J'essaie de suivre son exemple en enseignant l'importance de la bodhicitta et en comprenant la vacuité.
« Ceux parmi vous qui sont ici aujourd'hui ont établi une relation enseignant-disciple avec moi et je vous considère comme mes frères et sœurs dans le Dharma. Servir les 7 milliards d'êtres humains vivants aujourd'hui est quelque chose de pratique que nous pouvons tous faire. »
Sa Sainteté résuma ses quatre engagements, à savoir qu'en tant qu'être humain, il s'engage à rappeler aux gens que les animaux sociaux comme nous ont besoin d'un sentiment de compassion. Nous voulons tous être heureux et être bienveillants est bénéfique pour nous-mêmes et pour les autres. Il expliqua qu'il essaie de promouvoir l'harmonie et le respect entre les traditions religieuses. Elles peuvent avoir des points de vue philosophiques différents, mais leur intention est de développer l'amour et la compassion.
Comme le fit remarquer Sa Sainteté, étant un Tibétain portant le nom de Dalaï-Lama, la grande majorité des Tibétains placent en lui leur espoir et leur confiance. Bien qu'il se soit retiré de toute participation politique, il reste déterminé à attirer l'attention sur la nécessité urgente de protéger l'environnement fragile du Tibet. Il est également profondément soucieux de préserver la tradition d’étude de Nalanda que les Tibétains ont maintenue vivante depuis que Shantarakshita l'a introduite au huitième siècle.
Shantarakshita a préconisé la traduction de la littérature bouddhiste en tibétain afin que les Tibétains puissent étudier dans leur propre langue. Dans le processus de traduction, le tibétain s'est profondément enrichi. Aujourd'hui, au Tibet, les officiels chinois intransigeants associent la langue tibétaine à l'identité tibétaine et tentent de la supprimer. Ici, en exil, avec l'aide et le soutien du gouvernement indien, les Tibétains ont créé des écoles et rétabli des monastères en tant que centres d'étude, qui jouent un rôle clé dans sa préservation.
L'esprit tibétain reste fort et les Tibétains continuent à se consacrer à la non-violence. Plus de 160 personnes qui auraient pu faire du mal aux autres se sont sacrifiées en s'immolant. Sa Sainteté ajouta que depuis 1974, il propose d'adopter une approche de la voie du milieu dans les relations avec la RPC.
Sa Sainteté mentionna qu'il s'est en outre engagé à essayer de faire revivre l’intérêt pour l’ancien savoir indien, qui inclut une compréhension approfondie du fonctionnement de l'esprit et des émotions, ici en Inde. Il suggère que l'Inde est le seul pays qui pourrait combiner les connaissances de l'Inde ancienne avec l'éducation moderne. Il souligna l'exemple efficace que le Mahatma Gandhi a donné au XXe siècle en œuvrant résolument avec non-violence. Nelson Mandela, l'évêque Desmond Tutu et Martin Luther King ont pris cet exemple à cœur. Peut-être, la compassion peut-elle être aussi efficace en ce 21e siècle.
Enfin, Sa Sainteté donna la permission consécutive de Mahamayuri, l'une des cinq déités féminines connues sous le nom des "Cinq protecteurs" ou Pancha Raksha, qui est populaire en Chine et au Japon. Au cours du rituel, il dirigea également une cérémonie pour cultiver l'esprit d'éveil de la bodhicitta.
« Ces trois derniers jours, nous nous sommes concentrés sur la Précieuse guirlande. J'espère que vous trouverez utile ce que vous avez entendu. Bien que je maintienne une pratique approfondie de yoga de la déité, ma principale préoccupation est de cultiver la bodhicitta et la sagesse qui comprend la vacuité. Parfois je rêve même que j'enseigne l'esprit d'éveil à d'autres personnes. Tout comme les Tibétains se sont nourris des enseignements de Shantarakshita, je vous invite à approfondir votre compréhension quant à ce que je vous ai dit. »
Le public clôtura la série d'enseignements par le chant en chinois du Cantique de l'immortalité, une prière pour la longue vie de Sa Sainteté composée par ses deux tuteurs, Ling Rinpoché et Tridjang Rinpoché. Après s'être assis pour prendre quelques photos avec les étudiants par petits groupes, Sa Sainteté descendit vers la voiture qui l’attendait au pied de l'escalier du temple et rentra chez lui pour déjeuner.