Thekchèn Tcheuling, Dharamsala, Inde – Ce matin, Sa Sainteté le Dalaï-Lama a rencontré 15 éducateurs venus d'Inde, d'Allemagne, du Brésil, du Mexique, de Finlande, des États-Unis, d'Australie, du Bangladesh, de Grande-Bretagne et de Russie, qui participaient à une table ronde inaugurale sur le thème « l'éducation humaine au 3ème millénaire ».
Après que Sa Sainteté est entré dans la salle et a demandé à toutes les personnes présentes de se détendre, la coordinatrice du projet, Margarita Kozhevnikova, expliqua que la présente conférence était une préparation pour un forum mondial sur l'éducation. Elle souligna quatre domaines d'intérêt : la politique de l'éducation, être humain, l'éducation pour la démocratie et l'éducation orientée pour les êtres humains. Elle présenta Scott Webster qui allait animer la séance du matin. Il résuma ce qui avait été discuté jusqu'ici.
Il dit à Sa Sainteté qu'en ce qui concerne les éducateurs, les choses s'aggravent. Les écoles et les universités se concentrent de plus en plus sur la formation des étudiants à des compétences professionnelles. L'épanouissement de l'être humain n'est pas abordé. Quand on parle de valeurs, c'est seulement en relation avec le travail et le fait d'être un travailleur par opposition à être un être humain. L'éducation est réduite à ce qui peut être mesuré. Les enseignants se rendent compte qu'ils sont incapables d'être créatifs, perdant ainsi l'occasion d'offrir une éducation humaine. Les politiques qui régissent cela sont rédigées par les gouvernements ou par des hommes d'affaires, et non par des éducateurs professionnels.
Il existe un consensus parmi les éducateurs : être humain signifie davantage qu’être une unité économique, en tant que travailleur ou consommateur. Les connaissances et les compétences ont un rôle, mais il faut aussi des valeurs. À la suite de leurs discussions, les participants à la réunion affirmèrent qu'il est nécessaire d'agir.
En ce qui concerne la démocratie, elle semble représenter la liberté humaine avec dignité, justice et tolérance. C'est un mode de vie éthique aujourd’hui attaqué par la montée du populisme et du nationalisme, qui ont tendance à l'exclusion. Les enseignants sont impatients de voir la démocratie restaurée et renforcée.
Quant à la pédagogie et l'évolution des élèves, les participants ont constaté que le questionnement peut nous aider à devenir de meilleurs êtres humains.
Webster demanda à Sa Sainteté comment la politique de l'éducation pourrait être remise en question, ce que signifie être humain, s'il pense que la démocratie représente l'épanouissement de l'être humain et ce que signifie être un éducateur.
« Si l'éducation est censée amener les individus à avoir une vie heureuse, dans des communautés heureuses et dans un monde heureux, elle semble avoir échoué, répondit Sa Sainteté. Nous voulons tous une vie heureuse et pourtant, chaque jour, à la télévision, nous voyons des gens confrontés à des problèmes. Il y existe des conflits inimaginables au nom de la religion.
« Avant que les jeunes enfants n'entrent dans le système éducatif, leur nature humaine fondamentale est fraîche. Ils ne se soucient pas de l'origine religieuse, raciale ou nationale de leurs camarades de jeu. Leur vision fondamentale est compatissante.
« Les enfants survivent grâce à la bienveillance et à la sollicitude de leur mère, ce qui leur donne un sentiment de sécurité pour la vie. Parce que nous sommes des créatures sociales, les individus survivent en étant dépendants d'un groupe. Cependant, une fois que les enfants vont à l'école, on n'accorde pas beaucoup d'attention aux valeurs humaines fondamentales.
« L'éducation moderne a évolué en Occident avec l'émergence de la révolution industrielle et un besoin accru de comprendre les mathématiques et les sciences. Leurs objectifs tendent à être matérialistes, en se préoccupant peu de la paix de l'esprit. On n'enseigne pas aux élèves comment faire face à leur colère, à leur peur ou à leur anxiété. En l'absence de toute autre solution, ils se tournent vers les drogues et l'alcool pour trouver un soulagement. Nous enseignons l'hygiène physique dès le plus jeune âge. Il semble qu'une notion correspondante d’hygiène émotionnelle soit nécessaire. Vous pouvez simplement commencer en demandant aux enfants s'ils préfèrent voir les autres sourire ou froncer les sourcils.
« Poursuivre un intérêt personnel est légitime, mais nous devons le faire avec sagesse plutôt que de façon insensée. Pour être heureux, nous avons besoin d'une attitude positive et la meilleure façon consiste à se soucier d'autrui, de prendre soin des autres membres de la communauté. L'éducation devrait expliquer comment développer la paix de l'esprit et préserver la force intérieure.
« En Inde, nous avons les traditions de ahimsa et karouna et les pratiques pour cultiver le calme mental, shamatha, et la vue supérieure, vipashyana : l’esprit est important. Pas seulement au niveau sensoriel, mais aussi au niveau de la conscience mentale. La colère et la peur surgissent à un niveau mental. Si nous avions une carte de l'esprit, une carte des émotions, nous comprendrions beaucoup mieux le fonctionnement de l'esprit et nous serions en mesure de faire face à nos émotions négatives.
« Ce sont la colère, la peur et l'égocentrisme qui détruisent notre paix d'esprit. Les observations en physique quantique qui montrent qu’aucune chose n'existe telle qu'elle apparaît, qui correspondent à ce que Nagarjouna a enseigné, peuvent aider à desserrer l'emprise de ces émotions négatives. J'ai maintenant 84 ans et, depuis 70 ans, je réfléchis à la sagesse qui comprend la vacuité, à la compassion et au développement d’un amour infini. Je trouve que c’est très utile pour établir une paix de l'esprit. Et bien que ces instructions se trouvent dans les textes religieux, elles peuvent être considérées comme des moyens d'améliorer la santé et étudiées de manière objective et académique.
« Lorsque le système éducatif est centré sur des objectifs matérialistes, comme l'est trop souvent l'éducation moderne, les personnes ainsi éduquées ont tendance à suivre un mode de vie matérialiste. En Inde, j'essaie de raviver l'intérêt pour l’ancien savoir du fonctionnement de l'esprit et des émotions. J'espère qu'à long terme, l'Inde sera en mesure de combiner ce savoir ancien avec l'éducation moderne. Si nous pouvons former des enseignants pour promouvoir ahimsa et le karouna, nous pourrons contribuer significativement à plus de paix dans le monde. Ils peuvent aussi apprendre qu'il est possible de cultiver l'amour et la compassion en se servant de l'intelligence basée sur les découvertes scientifiques et le bon sens.
« Ce genre de rencontre confirme que l'éducation moderne est insuffisante. C'est pourquoi j'espère que les discussions se poursuivront à l'avenir. »
Répondant aux questions, Sa Sainteté souligna que la démocratie trouve sa source dans l'intérêt pour autrui et dans le respect de leurs opinions, un intérêt semblable à celui qu'un enseignant porte à ses élèves. Il confirma que, puisque les êtres humains ont besoin de vivre ensemble comme des frères et sœurs, la bonne façon de régler les conflits est d'engager le dialogue et d'éviter la violence et le recours à la force.
Reconnaissant la gravité du réchauffement planétaire et de la crise climatique, Sa Sainteté rapporta qu'un écologiste chinois lui avait expliqué que dans 80 ans, le monde sera comme un désert. Il fit remarquer que les ressources en eau diminuent déjà de façon alarmante. Il affirma que les solutions impliquent que chacun modifie son mode de vie, abandonne les combustibles fossiles et se tourne vers les sources d'énergie renouvelables.
« L'humanité ne forme qu'une seule communauté, déclara-t-il, et nous devons utiliser notre intelligence pour prendre soin les uns des autres. Le succès de la démocratie dépendra de notre motivation et nous devrons nous servir de notre intelligence brillante et de notre bonté de cœur. »
Pour conclure la séance, Margarita Kozhevnikova expliqua que de nombreux éducateurs veulent transmettre des valeurs humaines à leurs élèves, mais qu'ils trouvent peu de place dans les programmes imposés. On leur demande plutôt de fournir des résultats mesurables sous la forme de bonnes notes aux examens et aux contrôles.
Le Vén. Samdhong Rinpoché eut le plaisir de partager avec les participants l'annonce de la permission qui a été accordée pour lancer un cours de six mois pour former les enseignants à l’ancienne sagesse indienne, en collaboration avec l’université de Dharamsala. Il y aura aussi des ateliers de formation de 2 à 3 jours pour les familiariser avec l'éthique séculière. On espère que 2000 enseignants en bénéficieront. Il est prévu d'introduire des éléments de l'ancienne sagesse indienne dans les écoles, de la maternelle jusqu’à la 8ème année.
Margarita Kozhevnikova remercia Sa Sainteté d'avoir pris le temps de s'adresser aux participants à la conférence. La remerciant à son tour d'avoir organisé la réunion, il lui dit qu'il considérait la Russie comme un pont entre l'Est et l'Ouest. Il dit pour conclure que, pour construire un monde meilleur et plus pacifique, nous devons utiliser notre intelligence à des fins pacifiques, plutôt que pour produire des armes toujours plus sophistiquées.
Sa Sainteté invita tous les participants et observateurs à se joindre à lui pour le déjeuner.