Goa, Inde – Hier, Sa Sainteté le Dalaï-Lama s'envolait du nord hivernal vers la chaleur étouffante de Goa où une centaine de Tibétains étaient rassemblés à l’entrée de l'aéroport pour lui souhaiter la bienvenue. Il futaccueilli à son hôtel par le Dr Anita Dudhane et Rajiv Mehrotra, secrétaire de la Fondation pour la Responsabilité Universelle, qui ont tous deux contribué à faciliter la création de la chaire du Dalaï-Lama pour les études de Nalanda à l'Université de Goa.
Ce matin, il rencontrait le vice-chancelier de l'Université de Goa, Varun Sahni, le registraire YV Reddy, ainsi que Rajiv Mehrotra et le Dr Anita Dudhane, pour discuter de la nouvelle chaire à l'université, financée par la Fondation pour la Responsabilité Universelle. Ils furent rejoints par le Dr Ajit Parulekar, directeur de l'Institut de Goa qui développe et met en œuvre un programme d'éthique laïque.
Sa Sainteté leur déclara qu'il considérait la chaire du Dalaï-Lama pour les études de Nalanda à l'Université de Goa comme une contribution à son engagement à raviver l'intérêt pour le savoir indien ancien.
« C’est au 8ème siècle que Shantarakshita introduisit la tradition de Nalanda au Tibet. Et, bien que la connaissance qu'elle préserve soit contenue dans des textes religieux, elle est universellement applicable. Le monde a besoin de cette connaissance aujourd'hui. Au Tibet, nous avons maintenu cette compréhension vivante, mais ce n'est que maintenant que nos érudits s'engagent avec leurs homologues au sein des universités modernes. »
Rajiv Mehrotra précisa que la chaire du Dalaï-Lama aurait une fonction d’invitation, avec des orateurs invités à venir à l'Université de Goa pour faire la lumière sur les différents aspects de la tradition de Nalanda. Sa Sainteté fit remarquer que tous les érudits reçus auraient à adopter une approche strictement laïque pour pouvoir toucher un public aussi large que possible. Il fit une pause et finit par exprimer une hésitation sur la question de savoir si le nom de Nalanda devait être utilisé, s'il impliquait une association avec l'érudition bouddhiste au lieu de se référer à une sagesse indienne ancienne de plus grande ampleur.
« J'ai quatre engagements, dit-il, le premier est qu'en tant qu'être humain, je m'engage à promouvoir les valeurs humaines qui contribuent au bonheur humain. Regardez le monde d'aujourd'hui, où la violence sévit, où les armes prolifèrent et où les pays continuent de s’adonnerà la vente d'armes avec empressement. C'est une approche erronée. Il y a d'autres façons de faire de l'argent. Il semble que nous prenions modèle sur le 20ème siècle, qui était une époque de guerre. C'est pourquoi la tradition indienne de "ahimsa", la non-violence, le non-préjudice, est si pertinente. Le monde a besoin de "ahimsa" et de "karouna" – non-violence et compassion – non pas en termes de prières ou de rituels, mais pour stimuler une autre ligne d'action.
« L'Inde a également une notion de laïcité bien exercée, qui respecte le point de vue des autres et permet même aux idées d'origine religieuse de faire l'objet d'études universitaires. Il est important de souligner que la base de la paix dans le monde est la chaleur du cœur chez les êtres humains.
« Les scientifiques disent que la nature humaine fondamentale est compassion parce que nous sommes des animaux sociaux ; nous dépendons de la communauté au sein de laquelle nous vivons. Cependant, nous sommes aussi capables d’utiliser à mauvais escient l’intelligence de notre cerveau humain pour détruire les autres.
« Les enfants se soucient peu de la religion, de la nationalité ou de la race de leurs compagnons, à partir du moment où ils sourient et jouent joyeusement ensemble. C'est le genre d'attitude qu’il nous faut tous adopter. Dans le monde d'aujourd'hui, la compétitivité hostile conduit à stigmatiser les autres en termes de "nous" et de "eux", facilitant ainsi l’effet boule de neige par rapport à la violence. "Ahimsa" – la non-violence – reste pertinente, et avec elle, nous devons garder en mémoire l'unité de l'humanité. »
Sa Sainteté fit remarquer qu’au lieu de citer ce que le Bouddha a pu dire, il préférait citer des découvertes scientifiques résultant d'expérimentations et d'investigations acceptables pour tous. Il préfère adopter une approche laïque et s'inspirer de l'exemple des maîtres de Nalanda qui consiste à utiliser pleinement l'intelligence humaine en faisant appel à la rigueur de la raison et de la logique. Il constata que si la physique quantique affirmait que rien n'existe objectivement et mettait l'accent sur le rôle de l'observateur, peu avait été fait pour étudier l'observateur. La tradition de Nalanda peut combler cette lacune.
Le vice-chancelier et le registraire accueillirent Sa Sainteté à son arrivée à l'auditorium de l'Académie de Kala et l'escortèrent jusqu’à la scène. Le chœur de l'Université de Goa prit les devants en interprétant en son honneur le « Big Ocean Cantata », une œuvre chorale touchante accompagnée d'un piano, d'un violon et de percussions joués de façon émouvante. Il s'agissait de la première mondiale d'une pièce composée en trois mouvements pour refléter l'évasion de Sa Sainteté de Lhassa, sa traversée du col de la liberté et ses luttes pour la cause du Tibet en exil, écrite par Santiago Lusardi Girelli, professeur invité de recherche en musique occidentale à l'Université de Goa. Il a également joué le rôle du chef d'orchestre. Le spectacle reçut de vifs applaudissements.
S'exprimant depuis un pupitre marqué du logo de l'Université de Goa et sa devise « La connaissance est divine », le vice-chancelier salua ses invités. Il annonça qu'hier, 10 décembre, l'Université de Goa signait un protocole d'accord avec la Fondation pour la Responsabilité Universelle établissant la chaire du Dalaï-Lama pour les études de Nalanda. Il ajouta qu'hier marquait également le 30ème anniversaire de la remise du prix Nobel de la paix à Sa Sainteté et le 60ème anniversaire de sa réussite à l’examen de Guéshé.
« Les titulaires de la chaire du Dalaï-Lama se concentreront sur le savoir indien ancien en combinaison avec l'éducation moderne, déclara-t-il à plus de 1 500 personnes présentes, dont 200 regardaient l’évènement sur des écrans à l'extérieur. Pourquoi la tradition de Nalanda est-elle importante aujourd'hui ? Le Mahavihara n'était pas seulement un endroit où l'on enseignait aux étudiants, c'était aussi un endroit qui encourageait le débat coopératif, performant, stimulant la fraîcheur de la pensée et dégageant l'innovation. Nous espérons imiter cela dans notre institut de formation.
« Les maîtres de Nalanda étaient tous indiens. Au 12ème siècle, lorsque l'université s’écroula, le monde aurait perdu le savoir qu'elle avait conservé s'il n'avait pas déjà été transmis aux monastères du Tibet. Maintenant, il peut être transplanté de retour au sein des universités indiennes.
« Grâce à un protocole d'accord que nous avons signé l'année dernière avec le monastère de Drépoung Loseling, des étudiants s’y sont rendus pour participer à une formation en méditation. Bientôt, des membres de notre faculté se rendront à Mundgod dans le cadre du programme d’apprentissage SEE. L'Université de Goa attend avec impatience de transplanter la tradition de Nalanda dans le monde d'aujourd'hui. »
Rajiv Mehrotra, au nom de la Fondation pour la Responsabilité Universelle, salua ce nouveau partenariat avec gratitude. Il souligna qu'il se déroulait dans le cadre d'un programme laïc et qu'il impliquerait l’union de la méthode et à la sagesse.
Sa Sainteté s'adressa à ses frères et sœurs aînés respectables et à ses frères et sœurs plus jeunes de cette façon : « Je commence toujours ainsi, parce que je crois vraiment que les 7 milliards d'êtres humains vivants aujourd'hui font partie d'une seule famille humaine. Notre façon de naître et de mourir est la même. Et ce qui est le plus précieux dans nos relations avec les autres, c'est la chaleur du cœur. Elle procure la tranquillité d'esprit et la force intérieure, fondement d’une communauté heureuse.
« J'essaie de partager avec les autres que la source ultime du bonheur est en nous ; elle ne se trouve pas dans l'argent et la gloire. Je promeus les valeurs humaines fondamentales en m’appuyant sur les découvertes scientifiques et le bon sens. La nature humaine compatissante est l’évidence d’une source d'espoir. C'est important, non pas pour la prochaine vie ou au moment de la libération, mais ici et maintenant.
« J’ai aussi pour engagement d’encourager l'harmonie interreligieuse, la préservation de la culture tibétaine et la protection de l'environnement du Tibet. De plus, je me consacre à faire revivre le savoir indien ancien en Inde. La compréhension du fonctionnement de l'esprit et des émotions fait partie intégrante de ce processus. La plupart des gens sont conscients de leur expérience sensorielle mais accordent peu d'attention à leur expérience mentale. Et pourtant, les émotions puissantes comme la colère et la compassion impliquent toutes deux une expérience mentale.
« En appliquant notre intelligence humaine, nous pouvons découvrir comment atteindre la paix de l'esprit. Nous pouvons reconnaître que telle ou telle émotion négative, comme la colère et la haine, détruit notre tranquillité d'esprit. Cultiver un esprit focalisé et tranquille nous permet de concentrer l'esprit là où nous le voulons. En développant la vue claire de la réalité, nous pouvons apprendre à transformer l'esprit. »
Sa Sainteté s’exprima sur l'importance cruciale de l'étude. Il revint sur le défi que certains méditants chinois avaient présenté peu de temps après que Shantarakshita eut introduit la tradition de Nalanda au Tibet. Ils prônaient la méditation non conceptuelle plutôt que l'étude, mais ont été battus au cours d’un débat avec Kamalashila, un disciple de Shantarakshita.
Sa Sainteté encouragea les membres de l'Université de Goa à profiter pleinement des érudits qui résident dans les monastères tibétains du Karnataka et qui sont experts dans les sujets d’études et la façon de les étudier. Il se réjouit à la perspective de la renaissance du savoir indien ancien et de son intégration dans l'éducation moderne. Si cela est possible, l'Inde a le potentiel de montrer l'exemple au monde.
Répondant à plusieurs questions de l'auditoire, Sa Sainteté souligna la maturité dont les pays européens qui ont formé l'Union européenne ont fait preuve comme un exemple des raisons de son optimisme. Ils ont fait passer le bien commun avant les intérêts locaux après des siècles de conflits destructeurs.
Interrogé sur ce qui le mettait en colère, Sa Sainteté indiqua clairement que la colère n’avait aucune raison d’être et qu’il était bien plus intéressant de cultiver la chaleur humaine et la compassion. De même, il rejeta la violence faite au nom de la religion comme étant en contradiction avec les valeurs qu’elle prône.
Il expliqua que l’essentiel à propos de Nalanda n'était pas les bâtiments qui étaient maintenant en ruines, mais la connaissance qui vient de là, dont les Tibétains ont été les gardiens pendant plus de mille ans. Il fit également l'éloge des traditions de non-violence, de compassion et de laïcité qui font partie de l'héritage indien ancien. En même temps, il indiqua que dans le pays démocratique le plus peuplé sur terre, le système des castes, vestige du féodalisme, était dépassé. Le registraire, YV Reddy, prononça des mots de remerciements pour conclure l'événement et tout le monde se leva pendant que la chorale chantait l'hymne national.