Thekchèn Tcheuling, Dharamsala, Inde, 11 février 2019
Deepak Chopra, auteur et conférencier
américain d'origine indienne, et 45 amis proches ont rencontré Sa
Sainteté le Dalaï-Lama ce matin. Sa Sainteté les a accueillis en
disant :
«Nous nous sommes déjà rencontrés quelques
fois, mais maintenant je suis heureux de pouvoir vous accueillir ici,
mes frères et sœurs spirituels, dans ce qui a été ma maison
pendant presque 60 ans.
«Dans le monde d'aujourd'hui,
malgré un développement matériel important, nous sommes confrontés
à toutes sortes de problèmes. Les catastrophes naturelles échappent
à notre contrôle, mais les combats et les tueries sont des choses
auxquelles nous pourrions mettre un terme. Cependant, nous accordons
trop d'attention aux objectifs matériels et pas assez aux valeurs
humaines comme l'amour. Bon nombre des problèmes auxquels nous
sommes confrontés sont de notre propre création et pourtant les
scientifiques nous disent que la nature humaine fondamentale est
compatissante. Ils nous disent aussi que cultiver une attitude de
compassion est bon pour notre santé physique, tandis que la colère
et la peur minent notre système immunitaire.
«Nous ne
donnons pas assez de poids aux valeurs intérieures. Nous voyons les
autres en termes de 'nous' et 'eux'. Même les pratiquants religieux
font cela. Nous faisons la distinction entre notre pays et leur pays.
Les jeunes enfants ne se soucient pas de ce genre de distinctions. Si
d'autres enfants sourient et jouent, ils sont heureux d'être avec
eux. Ce n'est qu'avec l'âge que nous commençons à mettre l'accent
sur des différences secondaires entre nous. Nous devons regarder
plus en profondeur et comprendre que nous sommes tous pareils en tant
qu'êtres humains. Et je crois que nous avons la responsabilité de
partager l'importance de demeurer des êtres chaleureux.»
«Depuis
notre dernière rencontre dans le New Jersey, interpole Deepak
Chopra, il est devenu clair que de nombreuses maladies sont le
résultat d'une inflammation intérieure et que la méditation est un
moyen de la calmer.»
Sa Sainteté a répondu :«J'apprécie
votre travail. Nous appartenons tous aux 7 milliards d'êtres
humains. Mentalement, émotionnellement et physiquement, nous sommes
les mêmes, alors nous devrions tous contribuer du mieux que nous le
pouvons à rendre l'humanité meilleure et plus heureuse. Nous
devrions essayer de faire en sorte que le XXIe siècle soit différent
du XXe siècle, une période gâchée par la violence, une période
où de brillants scientifiques se sont consacrés à l'amélioration
des armes. L'explosion du nombre de combats et de meurtres que nous
voyons aujourd'hui ici et là sont la conséquence de cette façon de
penser dépassée que les problèmes peuvent être résolus par
l'usage de la force. Au lieu de cela, nous devrions reconnaître nos
différents intérêts et idées et faire de ce siècle un siècle de
dialogue.»
En répondant aux questions du groupe, Sa
Sainteté a expliqué que, tout comme nous ne pouvons pas affirmer
qu'un médicament est le meilleur pour tout le monde, parce que ce
qui est requis dépend de l'âge, de l'état et de la maladie du
patient, nous ne pouvons affirmer qu'une tradition religieuse
particulière est la meilleure. Différentes personnes peuvent avoir
des traditions et des pratiques différentes qui sont plus efficaces
pour elles. Les Tibétains suivent la tradition de Nalanda, ce qui
signifie qu'ils étudient les œuvres de divers maîtres. Il en a
ainsi profité pour présenter les personnages illustrés sur les
peintures accrochées dans la salle. Ils analysent et étudient des
points de vue contrastés, ce qui leur permet d'approfondir leur
compréhension. Pour l'individu, ajoute Sa Sainteté, l'important est
de trouver une pratique qui aide à faire face aux émotions
destructrices.
Interrogé sur le nom d'un dirigeant mondial
qu'il admirait, Sa Sainteté a mentionné le Mahatma Gandhi qui,
malgré son éducation sophistiquée, est retourné en Inde où il
s'est habillé comme un Indien ordinaire et a encouragé l'ahimsa ou
non-violence pendant la lutte pour la liberté. Il a également rendu
hommage à Rajendra Prasad, premier président de l'Inde et à Willy
Brandt qui sont restés en contact avec l'Union soviétique même
pendant la guerre froide.
Invité à expliquer comment faire preuve de compassion lorsqu'on est lésé, Sa Sainteté a recommandé de reconnaître que nous sommes tous des êtres humains. Il a déclaré qu'il avait trouvé une telle approche d'une aide immense dans sa propre vie. Toute personne qu'il rencontre est exactement comme lui, quelqu'un qu'il peut considérer comme un frère ou une sœur. Quand il pense aux responsables chinois au Tibet qui ont imposé des épreuves aux Tibétains, il se rappelle qu'eux aussi sont des êtres humains. En tant qu'animal social, l'être humain dépend de la communauté dans laquelle ils vit, c'est pourquoi Sa Sainteté souligne l'importance de se souvenir que l'humanité est une.
Il a ensuite parlé de la non-violence et du gaspillage que représente le fait de consacrer des talents et des ressources au développement, à la fabrication et à la vente d'armes. Il a raconté une réunion des lauréats du prix Nobel de la paix à Rome et s'est dit choqué par la description qui avait été faite des conséquences de l'utilisation des armes nucléaires. Il a immédiatement suggéré qu'un calendrier soit établi pour leur élimination, mais rien ne s'est passé. Néanmoins, a-t-il dit, il est essentiel de ne pas renoncer à l'effort, non seulement au niveau des dirigeants et des organisations comme l'ONU, mais aussi au niveau public ordinaire.
«En tant que frères et sœurs, nous devons agir, dit-il, pour instaurer un monde de paix pas à pas.»
Face aux objectifs essentiellement matériels de l'éducation
moderne, Sa Sainteté a recommandé d'ajouter des instructions sur
l'hygiène, des conseils sur l'équilibre émotionnel et les moyens
de faire face aux émotions destructrices. On peut apprendre aux
enfants à reconnaître que la colère et la peur ruinent notre
tranquillité d'esprit, tandis que d'autres émotions destructrices
perturbent l'harmonie familiale. Il a noté que l'ancienne
compréhension indienne du fonctionnement de l'esprit et des émotions
demeure pertinente et utile sur le plan pratique aujourd'hui.
«Au début du XXe siècle, ajouta Sa Sainteté, les scientifiques ne s'intéressaient qu'à l'étude du cerveau en tant qu'élément distinct de l'esprit. Progressivement, certains d'entre eux en sont venus à reconnaître qu'il existe différents niveaux de conscience : la conscience sensorielle de l'état éveillé , la conscience de l'état de rêve, la conscience plus subtile du sommeil profond, etc. Certains méditants ont expérimenté ces différents niveaux de conscience dans la méditation, tandis que les scientifiques ont commencé à voir comment ceux-ci affectent le cerveau.
«Dans les écoles, nous devons enseigner non seulement la forme physique, mais aussi la forme mentale. En général, l'Inde moderne accorde trop peu d'attention à ce genre de compréhension, mais je m'engage à encourager la renaissance du savoir indien ancestrale dans ce pays. Je suis convaincu que l'Inde est le seul pays qui peut combiner l'éducation moderne avec ces connaissances ancestrales sur l'esprit et les émotions et partager cela avec le reste du monde.»