Tokyo, Japon
S’adressant à un groupe d’environ 300 Tibétains et Bhoutanais qui étaient venus le voir à son hôtel aujourd’hui, Sa Sainteté le Dalaï-Lama leur dit qu’il faisait une courte visite au Japon. Il mentionna les preuves archéologiques de la présence humaine au Tibet il y a de cela 35 000 ans. Il spécula que si la théorie s’avérait exacte que les êtres humains seraient originaires d’Afrique et se seraient répandus à travers le monde à partir de là, ils auraient pu atteindre le Tibet avant la Chine. Les traces de l’agriculture ancienne au Tibet occidental pourraient confirmer cela.
« Bien que la statue de Jowo fût initialement apportée de la capitale chinoise de Xi’an à Lhassa, lorsqu’il a été question d’améliorer l’écriture tibétaine, cette dernière a été modelée sur la Devanagari indienne », observa Sa Sainteté. « De la même manière, voyant le besoin d’une source authentique des enseignements du Bouddha, Trisong Détsèn se tourna de nouveau vers l’Inde et invita Shantarakshita de l’Université de Nalanda. La tradition qu’il a introduite n’était pas concernée pas les prières et les rituels, mais par l’étude et l’analyse. Shantarakshita encouragea la traduction en tibétain de la littérature bouddhiste essentiellement sanskrite afin que les Tibétains puissent étudier dans leur propre langue.
« Certains maîtres de méditation chinois affirmaient que l’étude n’était pas nécessaire. Ils soutenaient que la méditation à elle seule était une cause suffisante d’éveil. Shantarakshita recommanda que son élève Kamalashila fût invité à contester ce point de vue, ce qu’il fit avec succès.
« Beaucoup plus tard, le monastère de Drépoung a été qualifié de deuxième Nalanda en raison de ses qualités en tant que centre de formation. Le fondateur Jamyang Tcheudjé Tashi Paldèn prédit que des érudits supérieurs à lui apparaîtraient dans le futur. L’abbé Kounkhyèn Lègpa Tcheudjé rêva que le « Tenma » amenait un lama à Drépoung dans un palanquin, ce qui semble avoir été une prémonition pour l’arrivée du 2ème Dalaï-Lama. Gèndun Gyatso a contribué au développement de Drépoung. Il y établit le Gandèn Phodrang et devint, en temps voulu, l’abbé de Drépoung et de Séra.
« Les études bouddhistes fondées sur la raison et la logique ne se retrouvent que dans la tradition tibétaine. Vous, les Bhoutanais, pouvez appeler votre langue Dzongkha et les Trans-Himalayens l’appellent Bhoti, mais elle est écrite dans la même écriture que le Kangyour et le Tengyour tibétains. Ces collections de paroles du Bouddha et de traités des maîtres bouddhistes indiens qui sont apparus ensuite contiennent une mine de connaissances sur le fonctionnement de l’esprit et des émotions, qu’il est important de préserver parce qu’elles sont toujours d’une importance cruciale de nos jours.
« La résolution des peuples de la région transhimalayenne m’a encouragé à œuvrer pour faire en sorte que les monastères, les couvents et les temples de la région soient transformés en centres de formation. Non seulement moines et nonnes y étudient sérieusement, mais on y trouve aussi des laïcs, parfois même des laïcs âgés.
« Djé Tsongkhapa était un érudit incomparable. Quand vous lisez ce qu’il a écrit, vous pouvez voir qu’il s’est fait un point d’honneur à éclaircir et à clarifier les points les plus difficiles. Ceux d’entre vous qui venez du Bhoutan et qui suivez les traditions Nyingma et Kagyu feraient bien de lire le « Trésor des principes philosophiques » de Longchènpa (Droubta Dzeu) et son « Trésor qui exauce les souhaits » (Yishyin Dzeu), qui comportent une présentation exhaustive de la voie bouddhiste. »
Comme bon nombre de ceux qui étaient rassemblés devant lui étaient des étudiants, Sa Sainteté fit la transmission de la prière et du mantra de Manjoushri, ainsi que les mantras d’Avalokitéshvara et de Tara. Il posa avec eux, pour des photos de groupe.
Sa Sainteté s’est ensuite dirigé vers le complexe parlementaire japonais voisin où des membres du Groupe parlementaire multipartite japonais pour le Tibet l’ont accueilli et escorté à l’intérieur.
« Je ne suis ici que pour une courte visite », leur a-t-il dit, « et je suis très heureux d’avoir l’opportunité de rencontrer des membres du Parlement. Les relations entre le Tibet et le Japon remontent à l’époque du 13ème Dalaï-Lama, mais elles ont pris fin après la Seconde Guerre mondiale. Néanmoins, le Japon est une nation asiatique importante, une nation avec laquelle nous avons également des connexions religieuses fortes. »
Les membres du Parlement firent part à Sa Sainteté qu’ils aimeraient l’informer de leurs plans, des débats qu’ils ont pu avoir et de la résolution qu’ils ont adoptée. Ils étaient désireux de contribuer à la préservation de la culture, de la langue et des traditions religieuses tibétaines qui font partie de l’identité tibétaine et qui sont réprimées actuellement au Tibet, par les Chinois. Ils exprimèrent également leur intérêt à soutenir le développement économique et éducatif au sein-même du Tibet. Ils déclarèreng qu’ils avaient fait appel pour la libération des prisonniers d’opinion tibétains, dont beaucoup ont été condamnés pour avoir défendu leur identité et leur culture. Les membres du Parlement estiment que toutes les nations du monde ont la responsabilité de défendre et d’appuyer les droits des Tibétains.
Sa Sainteté répondit : « Le Japon est un pays très développé avec un sens puissant de démocratie et de liberté. Dans ces circonstances, je voudrais vous remercier pour votre soutien à la cause tibétaine. Vous vous souvenez peut-être qu’il y a quelque temps, j’avais proposé de reconnaître le Tibet comme une zone de paix. Historiquement, aux 7ème, 8ème, et 9ème siècles, selon des documents chinois, le Tibet, la Mongolie et la Chine étaient des nations indépendantes. Cependant, le passé est le passé. Nous devons tenir compte de la réalité d’aujourd’hui. Nous ne demandons pas un statut distinct pour le Tibet. Nous sommes préparés à rester dans la République populaire de Chine (RPC), à condition toutefois qu’il y ait un intérêt mutuel. J’ai une grande admiration pour l’esprit de l’Union européenne qui fait passer l’intérêt commun avant les intérêts des membres individuels. »
À la suite de cet échange amical, Sa Sainteté fut invité à participer à une réunion plus officielle avec le Groupe parlementaire multipartite japonais pour le Tibet (APJPGT). Le Président, Hakubun Shimomura, membre de la Chambre des représentants du Parti libéral-démocrate au pouvoir prit la parole en premier : « Votre Sainteté, le monde vous admire pour votre leadership ; vous êtes quelqu’un que nous admirons profondément. Vos conseils sont pour nous comme le soleil dissipant l’obscurité. J’aimerais que vous sachiez que nous travaillons également en étroite collaboration avec les ONG qui soutiennent la cause du Tibet. Au nom de nous tous, j’aimerais vous remercier d’être venu à notre Parlement. »
Le vice-président de l’APJPGT, Shu Watanabe, du Parti démocratique populaire, déclara: « C’est la quatrième fois que nous invitons Sa Sainteté au Parlement. L’institution du Dalaï-Lama a plus de quatre-cents ans d’existence. Bien qu’il soit le leader du peuple tibétain, Sa Sainteté souligne l’importance de considérer la prospérité des 7 milliards d’êtres humains vivants aujourd’hui. Il insiste sur la nécessité d’une plus grande compassion. Il exprime une appréciation toute particulière du Japon en tant que pays technologiquement très développé qui a gardé sa culture et ses valeurs traditionnelles intactes. »
Le secrétaire général de l’APJPGT, Nobuyuki Baba, du Parti de l’innovation du Japon, déclara à Sa Sainteté : « Dans un monde numérique où l’on a accès à tant d’informations, nous ressentons qu’il est de la plus haute importance de partager la cause du Tibet avec autrui. »
Kyoko Nakayama du Parti de l’Espoir déclara : « Alors que le monde entier devrait y prêter attention, la cause du Tibet est négligée. En 60 ans d’exil, vous avez dû faire face à tant d’épreuves, mais vous avez aussi accompli de grandes choses. C’est une grande opportunité pour nous de vous voir ici à nouveau. »
Yoshiko Sakurai, président de l’Institut japonais des fondamentaux nationaux ajouta : « Je suis venu à Dharamsala avec des parlementaires. Je suis déterminé à travailler pour la cause tibétaine. Nous devons aider ceux qui en ont besoin. Nous avons monté ce groupe parlementaire japonais multipartite pour le Tibet, résultant de nos discussions avec les parlementaires. Ce groupe est le plus important groupe parlementaire pour le Tibet dans le monde. »
« Nous voici dans une nation asiatique, qui est hautement développée matériellement et technologiquement et dont le peuple maintient encore les principes du bouddhisme », répondit Sa Sainteté. « Je suis honoré de vous rencontrer, vous, les membres du Parlement japonais. Depuis mon enfance, j’admire la démocratie. Après avoir pris la responsabilité du Tibet en 1951, j’ai créé un comité de réforme, mais il n’a pas été efficace. Les autorités chinoises, ignorant le fait que si nous introduisions nous-mêmes des réformes, celles-ci seraient adaptées aux besoins des Tibétains, ne voulaient pas que quoi que ce soit vînt s’opposer à leur idée de réforme.
« En 1954, je suis allé à Pékin ; en 1956, je suis allé en Inde. En 1957 et 58, une crise se préparait au Tibet qui a éclaté en 1959, ne nous laissant d’autre choix que de fuir. Dès que nous sommes arrivés en Inde, nous avons pris des mesures pour amorcer la démocratisation de notre administration. En 2001, nous sommes parvenus à une direction élue et j’ai pu prendre ma retraite. En 2011, lorsqu’un autre dirigeant a été élu, j’ai confirmé mon départ en retraite. Non seulement je me suis retiré, mais j’ai mis fin à la coutume selon laquelle le Dalaï-Lama devient le chef temporel et spirituel du Tibet.
« J’apprécie votre résolution concernant le Tibet. Au cours des 70 dernières années, depuis qu’ils ont occupé le pays, les partisans de la ligne dure chinois ont essayé différentes méthodes, le recours à la force, le lavage de cerveau et la corruption pour affaiblir l’esprit tibétain. Mais plus la répression est grande, plus l’esprit tibétain grandit.
« Il y avait toutes sortes de problèmes au Tibet avant 1959, mais il n’y avait pas de conflit intrinsèque entre les peuples, tibétain et chinois. Cependant, le comportement des Chinois a créé un fossé entre les deux. La discrimination existe dans l’administration, à l’école et même dans les prisons. Le gouvernement chinois proclame l’harmonie et la stabilité, mais sa politique discrédite complètement ces objectifs. Elle doit être plus réaliste.
« De notre côté, depuis 1974, nous n’avons pas recherché l’indépendance. Nous sommes prêts à rester avec la République Populaire de Chine, à condition que tous les droits qui nous sont conférés nous soient donnés. Il y a quelques années, nous avons remarqué l’existence d’un millier d’articles en chinois appuyant notre approche de la voie du milieu, et critiquant la politique du gouvernement chinois. Aujourd’hui, il y a au moins 300 millions de bouddhistes chinois, beaucoup d’entre eux étant des gens instruits qui apprécient la valeur de la tradition de Nalanda.
« Je dis aux groupes parlementaires qui soutiennent le Tibet en Europe que plus ils seront en mesure d’exprimer leur inquiétude quant à la situation au Tibet, plus cela aidera les Tibétains et leur remontera le moral. Cela les encourage à savoir qu’ils sont soutenus quelque part ailleurs dans le monde. Il serait bon que vous puissiez vous rendre au Tibet dans le cadre d’une mission d’enquête sur l’environnement, accompagnés d’écologistes, pour voir par vous-mêmes comment les choses se passent. Comme vous le savez, en tant que source de grands fleuves, l’écologie du Tibet est cruciale pour le bien-être asiatique.
« En Inde, ces derniers temps, j’encourage en particulier les jeunes à réveiller leur intérêt pour la connaissance indienne ancienne sur le fonctionnement de l’esprit et les émotions. Elle est peut-être ancienne mais je crois que cette connaissance demeure particulièrement pertinente aujourd’hui. Le Japon est un pays bouddhiste et je suis convaincu que s’ils s’intéressaient davantage à cette connaissance intérieure, les gens d’ici aussi pourraient cultiver une solide tranquillité d’esprit. »
La résolution du groupe parlementaire multipartite japonais pour le Tibet fut formellement lue en japonais.
Pour conclure, Erico Yamatani, du Parti libéral-démocrate prononça des paroles de remerciements. Il exprima sa gratitude à Sa Sainteté pour sa venue au Parlement : « Si nous suivions les conseils de Sa Sainteté, nous pourrions parvenir à la paix dans le monde. J’offre également la pensée que nous devons mener davantage de recherches sur les moyens d’inverser le changement climatique, en gardant à l’esprit le rôle important du plateau tibétain en tant que troisième pôle. Merci. »
Avant de quitter la réunion, Sa Sainteté montra les drapeaux japonais et tibétains flottant ensemble et dit à ses hôtes que lorsqu’il était à Pékin en 1954, le Président Mao Zedong avait demandé si le Tibet possédait un drapeau. Lorsqu’il lui dit avec hésitation que c’était le cas, Mao répondit : « Bien, vous devez le garder. Vous pouvez le faire flotter aux côtés du drapeau rouge. » Sa Sainteté révéla à l’assemblée qu’avec ces mots, le Président Mao avait donné son approbation pour le déploiement du drapeau tibétain, il ne devrait par conséquent pas y avoir de place pour quiconque viendrait s’en plaindre.
Sa Sainteté s’en retourna à son hôtel. Demain, il se rendra à Fukuoka sur l’île de Kyushu.