Thekchen Chöling, Dharamsala, Inde, le 9 juin 2018
Après trois jours d’enseignements pour les jeunes étudiants tibétains, Sa Sainteté le Dalaï-Lama a rencontré ce matin environ 1200 personnes dans la cour du temple tibétain principal adjacent à sa résidence. Il a d’abord posé pour des photographies avec des petits groupes de personnes disposés par emplacement géographique avant de s’asseoir sur une chaise sous le temple.
« La tradition de Nalanda, dont le bouddhisme tibétain fait partie intégrante, se fondait sur l’usage de la logique et de la raison. Ceci implique de vérifier ce que le Bouddha a dit et pourquoi il l’a dit. Le résultat d’une telle enquête est une compréhension plus claire et plus ferme. A la suite de leur examen des enseignements du Bouddha, des maîtres de Nalanda comme Nagarjouna et Chandrakirti ont déclaré que certains d’entre eux ne pouvaient pas être acceptés littéralement parce qu’ils contredisaient la raison.
« Après l’introduction du bouddhisme au Tibet au VIIIème siècle par le grand philosophe et logicien Shantarakshita, nous, Tibétains, avons adopté une approche tout aussi rigoureuse. Comme le tibétain est probablement la langue classique la plus proche du sanskrit, il demeure le moyen le plus précis dont nous disposons aujourd’hui pour exprimer les idées bouddhistes. Bien que la tradition de Nalanda ait été quelque peu négligée en Inde, elle a été maintenue vivante au Tibet. »
La première question de l’auditoire concernait la psychologie et la façon dont elle peut être combinée avec les méthodes bouddhistes pour cultiver la compassion. Sa Sainteté a répondu que les connaissances ancestrales de l’Inde sur le fonctionnement de l’esprit et des émotions sont riches et profondes. Il a réaffirmé qu’il essaie d’en raviver l’appréciation parce qu’en Inde, elle est tombée dans l’oubli. Il a recommandé de lire le « Compendium des voies de la connaissance » d’Akya Yongzin.
Une autre personne a demandé comment renforcer l’égalité et Sa Sainteté a rapporté que les scientifiques affirment que la nature humaine fondamentale est compatissante et cela semble être confirmé par la façon dont les enfants réagissent. Tant que leurs compagnons sourient et se comportent amicalement, ils ne semblent pas se soucier de leur nationalité, de leur race ou de leur foi.
« En grandissant et en poursuivant notre éducation, nous apprenons à faire abstraction de nos valeurs humaines fondamentales. Au lieu de cela, nous accordons une attention disproportionnée aux différences secondaires, ce qui inclut ici en Inde les distinctions de caste et de richesse. Ces observations soulèvent de nombreux problèmes, surtout si l’on tient compte du fait que les êtres humains sont essentiellement les mêmes physiquement, mentalement et émotionnellement. En même temps, j’ai une grande admiration pour la façon dont l’Inde parvient encore à faire preuve d’unité dans la diversité.
« De même, j’ai un grand respect pour la manière dont les membres dirigeants de l’Union européenne, la France et l’Allemagne par exemple, ont décidé que l’intérêt commun était plus important que la souveraineté nationale. Là où ils étaient depuis longtemps des ennemis historiques, les attitudes ont complètement changé et la paix règne parmi les membres de l’UE depuis 70 ans ».
Sa Sainteté a mentionné que l’éducation moderne accorde peu d’importance à ce qu’il appelle les valeurs intérieures, ni à l’explication du fonctionnement de l’esprit et des émotions. Il a noté que, tout comme nous observons l’hygiène physique pour préserver notre santé, nous devons aussi cultiver l’hygiène émotionnelle pour maintenir notre paix de l’esprit.
« Grâce à l’éducation et à un entraînement, nous pouvons développer notre nature humaine fondamentale pour augmenter notre confiance en soi et pour être plus transparents, permettant ainsi d’instaurer plus de confiance, nourrissant à son tour des liens d’amitié solides. Il est tout à fait évident que la bonté aimante est indispensable de la naissance jusqu’au moment de notre mort. »
Lorsqu’on lui a demandé comment réconcilier la science et la religion, Sa Sainteté a fait référence à des sources indiennes qui expliquent le décalage entre les apparences et la réalité. Pour comprendre la réalité, il ne suffit pas d’accepter les choses telles qu’elles nous apparaissent. Le moi, qui peut sembler exister indépendamment, est décrit dans la vision bouddhiste comme étant simplement désigné sur la base du corps et de l’esprit.
Une fillette de huit ans a demandé à Sa Sainteté quel conseil il aurait eu pour lui-même quand il avait son âge. Il lui a répondu qu’il était un petit garçon très coquin qui n’aimait pas étudier. Tout ce qu’il voulait, c’était jouer et courir ici et là. Il a admis qu’il en est venu plus tard à apprécier la valeur de l’étude et s’y est appliqué.
« J’appartiens à la génération du XXème siècle, dit-il, et mon temps est révolu, mais nous sommes encore au début du XXIème siècle, alors nous pouvons sérieusement nous demander si nous voulons répéter les erreurs du passé en termes de souffrances et de violence. Il est encore temps de suivre les traditions indiennes de karouna et ahimsa : une motivation compatissante exprimée par une conduite non violente ».
Un jeune homme qui suit un cours de méditation a posé des questions sur le végétarisme dans le contexte de la prière bouddhiste avouée pour le bien-être de tous les êtres sensibles. Sa Sainteté a d’abord souligné que, bien que les Tibétains fassent sincèrement de telles prières, lorsqu’ils étaient au Tibet, il y avait peu de légumes et peu de nourriture non végétarienne. Cependant, en exil en Inde, il y a beaucoup plus de possibilités. Il a expliqué que les cuisines principales des grands monastères rétablis ne préparent que de la nourriture végétarienne. Parallèlement, des efforts ont été faits pour éviter l’élevage de volailles et de porcs dans les colonies tibétaines.
« Nous devons également faire un effort pour réduire le commerce des armes. Nous devons créer un monde démilitarisé. Certains problèmes peuvent être résolus par l’usage de la force, mais en général, cela ne fait que perpétuer les problèmes. La violence engendre la lutte contre la violence dans un cycle sans fin.
« J’aime l’Amérique, que je considère comme un leader important du monde libre, et je suis un grand Amithaba de George W Bush. Le lendemain du 11 septembre, je lui ai écrit pour lui exprimer mes sincères condoléances, mais aussi pour lui faire part de l’espoir que sa réponse à l’attaque permettrait d’éviter d’autres violences. Finalement, l’Irak a été attaqué et lorsque nous nous sommes rencontrés par la suite, je lui ai parlé de mon affection pour lui, mais aussi de mes réserves au sujet de certaines de ses politiques. L’intention d’instaurer la démocratie en Iraq était admirable ; le recours à la force ne l’était pas.
« La seule façon de vraiment résoudre les problèmes humains est de se rencontrer et de dialoguer. Ce n’est que si nous sommes prêts au dialogue que nous pourrons créer un monde plus pacifique. »
Sa Sainteté a remercié les membres de la foule d’être venus le voir, car beaucoup d’entre eux se tenaient debout les mains jointes en souriant pour le saluer. Il se rendit de la cour du temple à une salle d’audience dans sa résidence où 88 moines thaïlandais, 13 nonnes, 48 laïcs et 8 sympathisants étrangers se sont joints à lui pour le déjeuner. Pour commencer, un aîné thaïlandais a exprimé la gratitude du groupe pour la gentillesse et l’hospitalité de Sa Sainteté. Il a répondu que c’était un grand honneur pour lui de partager le déjeuner avec eux tous.
« Il y a cinquante ans, avant que la Thaïlande n’entre en relations diplomatiques avec la Chine, je me suis rendu deux ou trois fois dans votre pays et j’ai eu une audience avec Sa Majesté le défunt roi. Je me souviens que les rues de Bangkok étaient chaudes, donc même si j’étais heureux d’y être, mes pieds nus ont souffert.
« J’ai beaucoup admiré le mode de vie bouddhiste thaïlandais que je découvrais. Aujourd’hui, vous êtes sur le point de repartir pour votre troisième marche pour la paix mondiale d’ici à Leh et je suis heureux d’avoir pu vous accueillir et vous offrir le déjeuner.
« Je suis très réticent à dire qu’une religion est meilleure qu’une autre, tout comme nous ne pouvons pas prétendre qu’un médicament est le meilleur remède pour tout. Cependant, je crois qu’en observant les trois entraînements d’éthique, de concentration et de sagesse, nous pouvons nous attaquer à nos émotions et transformer notre esprit, ce qui nous permet de mieux aider les autres. À cet égard, le bouddhisme a quelque chose d’universel qui contribue à notre bien-être commun. Nous pouvons partager cela avec les autres d’une manière séculière sans parler de libération ou de nirvana, en nous préoccupant seulement de devenir des êtres humains plus heureux dans des communautés plus pacifiques ».
Les prières pour offrir la nourriture furent récitées en pali et en tibétain. A la fin du repas, Sa Sainteté a souhaité bonne chance à tous ses invités qui se préparaient à partir en pèlerinage.