New Delhi, Inde, le 24 avril 2018
Arrivé ce matin sur le campus verdoyant de l’IIT à Hauz Khas, New Delhi, Sa Sainteté le Dalaï-Lama a été reçu par la fondatrice de Velocity 48, Mme Parul Rai et l’actrice Tisca Chopra. Elles l’ont escorté jusqu’à l’auditorium où 1500 personnes l’attendaient.
Sur la scène, Sa Sainteté et ses hôtes ont allumé ensemble une lampe traditionnelle pour marquer l’ouverture de l’événement. La modératrice Sadhna Srivastav a invité le directeur de l’IIT, le professeur V Ramgopal Rao et le conseiller exécutif de l’IIT, Sanjeev Jain, à accueillir officiellement Sa Sainteté avec des fleurs et un foulard blanc. Mme Parul Rai a expliqué que c’était son rêve d’offrir aux gens des occasions de se rencontrer et d’écouter des légendes vivantes, alors elle était heureuse que Sa Sainteté ait accepté son invitation. Elle a ajouté de façon ludique que c’était plus par accident que par dessein que les membres du panel sur la scène autour Sa Sainteté étaient toutes des femmes.
Dans ses mots de bienvenue, Tisca Chopra a dit qu’elle était intimidée à l’idée de prendre la parole à l’IIT et de présenter Sa Sainteté que le New York Times a décrit comme l’homme le plus célèbre du monde. Elle a mentionné plusieurs questions auxquelles elle aimerait avoir des réponses - notre but est-il d’être heureux ? la compassion peut-elle s’apprendre ? qu’est-ce qu’une vie bien vécue ?
Ensuite, Mme Srivastav a invité Sa Sainteté à commencer son exposé :
« Chers frères et sœurs, plusieurs de mes amis et en particulier l’ancienne présidente irlandaise Mary Robinson m’ont appelée ‹ le Dalaï-Lama féministe › parce que j’appuie le fait que les femmes jouent un rôle de premier plan à cette heure qui nous exhorte à promouvoir plus que jamais la compassion. Des recherches ont montré que les femmes sont plus sensibles et réceptives à la douleur des autres. Nous venons tous d’une mère et la plupart d’entre nous ont survécu grâce à son affection et à ses soins.
« Dans l’histoire de l’humanité, les guerriers, ceux qui tuent, sont traditionnellement des hommes. Les bouchers sont surtout des hommes. Donc, comme je l’ai déjà dit, en cette période où nous devons faire un effort particulier pour promouvoir l’amour et la compassion, je crois que les femmes ont un rôle privilégié à jouer.
« Quant à la question du bonheur et d’une vie sans stress, tout être sensible qui éprouve du plaisir ou de la douleur a le désir d’être heureux. Il y a plusieurs niveaux de bonheur parce que les animaux, y compris les oiseaux, les insectes et les poissons, n’ont pas le cerveau que nous avons. Leur vie est entièrement orientée vers l’expérience sensorielle. En effet, leur survie en dépend, et c’est pourquoi certains animaux ont des sens beaucoup plus aiguisés que nous, les humains.
« Nous, par contre, nous avons un langage et une pensée sophistiqués, mais cela n’empêche pas notre cerveau de créer parfois des problèmes. Avoir trop d’attentes sur l’avenir ou se perdre dans la réflexion sur le passé peut nous causer du stress et de l’anxiété.
« Notre nature humaine de base est compatissante et chaleureuse parce que c’est de cette façon que nos vies commencent. Sans l’amour et l’affection, nous n’aurions pas survécu. C’est pourquoi nous devons combiner notre intelligence naturelle avec un bon cœur. La bienveillance entraîne la force intérieure et la confiance en soi, elle nous permet d’être honnêtes et sincères, de sorte que notre conduite est transparente, ce qui attire la confiance et l’amitié.
« Notre survie et notre avenir dépendent des autres êtres humains, qui sont la source de notre bonheur. Si je souris à cette fleur, elle ne répond pas. Mais si je souris à un autre être humain, il ou elle sourit généralement en retour. Sans se soucier des autres avec bienveillance, nous ne pouvons pas être heureux.
« Comme je l’ai déjà dit, nous avons un cerveau merveilleux et brillant. Mais si ce cerveau est animé par la colère, la compétition et la jalousie, il peut être submergé par la peur et l’anxiété. Dominés par l’égocentrisme, nous manquons de principes moraux et d’une approche sur le long terme. Cependant, lorsque nous combinons notre cerveau intelligent avec un bon cœur, nous respectons les droits des autres, nous souhaitons sincèrement qu’ils soient heureux et ne leur causent jamais le moindre problème.
« Quand les émotions obscurcissent notre esprit, nous sommes incapables d’utiliser notre intelligence, de penser clairement et d’appréhender la réalité. Pour ce faire, nos esprits doivent être calmes, clairs et impartiaux. Nous devons examiner tout ce que nous affrontons sous différents angles pour obtenir une image plus complète. Si nous pouvons le faire, nous serons plus heureux et moins stressés. »
Sa Sainteté a ensuite porté son attention sur la tradition millénaire de laïcité de l’Inde, montrant du respect pour toutes les traditions spirituelles et même pour les points de vue de ceux qui ne sont pas religieux. Toutes les traditions religieuses transmettent un message d’amour et de compassion, qui peut apporter la paix, le bonheur et la satisfaction. Et pourtant, étant donné qu’un milliard des sept milliards d’êtres humains vivants aujourd’hui ne s’intéresse pas à la religion, ces messages religieux ne conviennent pas à tout le monde. Ce qui exige une éthique séculière.
Sa Sainteté a parlé des traditions religieuses théistes et non théistes. Comment les traditions théistes comme le judaïsme, le christianisme, l’islam et certains courants de l’hindouisme croient en un Dieu créateur plein d’amour. Leurs disciples croient qu’ils ont aussi besoin d’entrer en relation avec les autres êtres que Dieu a créés avec amour et compassion. Il a décrit cette idée comme une idée puissante. Il a poursuivi en expliquant que les traditions non théistes comme une section des Samkhyas, les Jaïns et les bouddhistes croient que la vie n’a pas de commencement, donc il y a renaissance et karma. Cependant, là où Jains et Samkhyas croient en un atman, un soi indépendant, le bouddhisme enseigne le non-soi, le fait qu’il n’existe pas de soi indépendant, mais un soi simplement désigné sur la base du corps et de l’esprit.
« Le but de l’enseignement du non-soi, poursuit Sa Sainteté, est de nous aider à faire face à nos émotions. Mon Amithaba américain, le psychologue cognitif Aaron Beck, qui travaille avec des gens qui ont des problèmes de colère, m’a dit que les sentiments de négativité qu’ils ressentent lorsqu’ils sont en colère sont une projection mentale à 90 %. Cela correspond à ce que Nagarjouna a enseigné en termes de fabrication conceptuelle. En tant qu’étudiant de Nagarjouna, j’ai fait moi-même l’expérience qu’une réflexion sur son analyse selon laquelle rien n’a d’existence indépendante aide à réduire la force des émotions perturbatrices. C’est une autre façon d’apporter la paix et le bonheur.
« En même temps, Shantidéva, dans son ouvrage ‹ L’Entrée dans la conduite des bodhisattvas ›, explique comment une attitude égocentrique donne lieu à des émotions négatives comme la colère et que la colère peut être contrée par l’altruisme et la bienveillance.
« Donc, ce que nous pouvons faire, c’est essayer de nous attaquer à nos émotions perturbatrices, de développer la bienveillance et d’atteindre la paix de l’esprit. Alors nous pourrons partager notre expérience avec nos frères et sœurs humains. »
Mme Nivruti Rai de l’IIT Bengalore a ensuite animé une séance de questions et réponses. Sa Sainteté a fait savoir que les êtres humains peuvent changer. Ils peuvent, par exemple, examiner si la colère et la frustration ont de la valeur, en arrivant à comprendre que la colère est toujours inutile. Cependant, la compassion est un antidote à de nombreuses émotions perturbatrices. Parce que la colère et la compassion sont opposées, à mesure que l’une augmente, l’autre diminue. Sa Sainteté a souligné l’importance de bien réfléchir à ces questions, de parvenir à une conviction et d’en approfondir la connaissance.
Lorsqu’on lui a demandé comment demeurer fort lorsqu’un être cher décède, Sa Sainteté a recommandé d’être réaliste. Toute chose vivante, dit-il, qu’il s’agisse d’une fleur ou de notre corps, a un début et une fin. La naissance et la mort font partie de la vie.
« Quand mon tuteur est décédé, c’était comme perdre le rocher sur lequel j’avais l’habitude de m’appuyer et j’étais triste « , a expliqué Sa Sainteté. « Cependant, j’ai réalisé que ce que je devais faire au lieu de me morfondre, c’était de travailler pour réaliser ses souhaits. »
Il a dit à quelqu’un d’autre qui n’était pas sûr de la voie à suivre, que la première chose à faire est d’utiliser votre intelligence et d’y réfléchir attentivement, sans aucune hâte. Demandez conseil à des amis de confiance. C’est ainsi qu’on prend une décision et, dit-il, quand on l’a fait, on agit avec détermination.
Sa Sainteté a répondu à la question de savoir pourquoi des gens bons et innocents souffrent en suggérant que dans le cas de ceux qui meurent de faim, c’est parce qu’ils sont négligés par ceux qui ont les moyens de les aider, mais n’ont pas les principes moraux suffisants pour le faire.
Enfin, un membre de l’auditoire a demandé si nous ne sommes pas tous fondamentalement égoïstes. Sa Sainteté a convenu qu’il est naturel de prendre soin de soi-même, mais a recommandé de le faire avec sagesse et non de façon déraisonnable. Étant donné que nous sommes dépendants les uns des autres, il est irréaliste de ne penser qu’à soi-même, de sorte que la façon la plus judicieuse de réaliser son propre intérêt est de veiller aux intérêts des autres.
Alors que la réunion touchait à sa fin, Sa Sainteté a remercié les gens d’être venus écouter ce qu’il avait à dire. Il leur a demandé de réfléchir à ce qu’ils avaient entendu et d’essayer de mettre en œuvre tout ce qu’ils pouvaient de ce qu’ils avaient compris.
La foule avançait doucement alors que les gens espéraient interagir brièvement avec Sa Sainteté qui s’est progressivement dirigé vers la porte et a quitté le bâtiment pour retourner à son hôtel. Demain matin, il retournera à Dharamsala.