Le temps était radieux et la foule joyeuse le long de la rue alors que Sa Sainteté le Dalaï-Lama parcourait la courte distance qui le séparait du Watpa Buddhagaya, le complexe du temple thaïlandais derrière le temple Mahabodhi. Il avait été invité à l'inauguration d'un séminaire international sur le Tipitaka/Tripitaka organisée par la Société Bouddhiste Thaï-Bharat, par le Dalaï-Lama Trust et par l’Institut central des hautes études tibétaines de Sarnath.
À son arrivée, il fut accueilli par l'abbé Dr Phra Bhodhinandhamunee et par le secrétaire général Dr Ratneshwar Chakma qui l'ont escorté jusqu’à l’intérieur du temple richement décoré. Il rendit hommage et alluma une lampe devant les représentations du Bouddha. Une fois Sa Sainteté assis, on lui offrit des cadeaux pendant qu’était récité le Mangala Soutta en pali. Il guida une rapide récitation du Soutra du cœur en tibétain.
Une fois revenu sous le soleil, Sa Sainteté fut sollicité pour prendre part au processus complexe de pose de la première pierre d'un nouveau musée. À l'intérieur de la salle dans laquelle devait se dérouler le séminaire, Sa Sainteté était assis avec l'abbé et d'autres moines devant un public d'environ 500 personnes, comprenant des moines vêtus de robe safran et des laïques vêtus de blanc de la tête aux pieds.
Dans son discours de bienvenue, le secrétaire général de Watpa, le Dr Ratneshwar Chakma, souhaita le bonjour à toutes les personnes présentes. Il déclara que c'était un honneur d'avoir avec eux un éminent chef spirituel comme Sa Sainteté, se réjouit de la présence de plusieurs hiérarques thaïlandais et accueillit le Professeur Guéshé Ngawang Samtèn. Il salua tous ceux qui assistaient à la cérémonie en ligne et conclut : « Que tous soient heureux et en bonne santé. »
Dans son discours d'introduction, le professeur Guéshé Ngawang Samtèn, vice-chancelier de l'Institut central des hautes études tibétaines de Sarnath, déclara au public : « Nous sommes ici à Bodhgaya pour un séminaire de deux jours sur le Tripitaka dans ce lieu des plus sacrés pour les bouddhistes. C'est ici que le Bouddha atteignit l'éveil. Peu de temps après, lors de son premier enseignement à Sarnath, il exposa les Quatre nobles vérités, deux relatives à la souffrance et à son origine et deux relatives à la cessation et au chemin.
« Il définit la vraie souffrance comme impermanente, de la nature de la souffrance, sans existence réelle et vide. Il poursuivit en expliquant qu’il était important de comprendre l'impermanence, la production en dépendance et le non-soi réaliser la libération. Plus tard, des discussions interactives sur de telles idées, entre bouddhistes et non-bouddhistes, amenèrent à une compréhension plus profonde. »
Guéshé Ngawang Samtèn exprima son point de vue sur l’importance de ce séminaire centré sur le Vinaya Soutta et l’Abhidhamma Pitaka, les écritures bouddhistes qui composent les recueils sur la discipline, les discours et les connaissances supérieures. Il fit observer qu'à une époque où les études bouddhistes suscitent un intérêt croissant dans le monde entier, il était important que ceux qui soutiennent ces traditions se rencontrent et interagissent entre eux.
Le Vén. Phra Promwachirayan Prasit Suddhibandhu fit la lecture d’un message du Patriarche suprême de Thaïlande. Il commença par honorer les moines et invoqua la bénédiction sur les laïques bouddhistes présents. Il décrivit le séminaire comme le résultat d'une collaboration entre la Société Bouddhiste Thai-Bharat, le Dalaï-Lama Trust et l’Institut central des hautes études tibétaines
Cependant, il en attribua l'inspiration à Sa Sainteté le Dalaï-Lama, qui avait suggéré une rencontre qui ne fasse pas de distinction entre théravada et mahayana.
Le Patriarche poursuivit en louant la valeur du Tipitaka et son explication de l'éthique, de la concentration et de la sagesse, amenant à la compréhension de l'impermanence, de la souffrance et du non-soi, des Quatre nobles vérités et du Noble Sentier octuple. Il compara le Bouddha à un médecin et le Dhamma à une médecine qui peut apporter espoir, bonheur et longévité. Il affirma que nous devons utiliser le Dhamma pour nous défendre contre les armes de destruction.
Assimilant le Mahayana à un grand bateau transportant de nombreux êtres à travers la mer et le théravada à un petit bateau transportant des êtres qui traversent un fleuve ou un canal, il souligna l'importance de leur collaboration dans un soutien mutuel. Le but du mahayana peut être de devenir un bodhisattva, alors que le but du théravada est d’atteindre le nirvana, mais ils ont un même but : aider les êtres, guider l'humanité jusqu’à la fin de la souffrance.
Un tel séminaire international, déclara-t-il, est important pour la préservation du bouddhisme et pour la construction de la foi, de l'amour et de l'harmonie. Il invoqua les bénédictions des Trois Joyaux sur Sa Sainteté pour l'accomplissement de ses souhaits et pour sa longue vie. Il dédia les mérites aux grands rois du passé comme Ashoka qui soutint le bouddhisme.
Dans son discours, l'abbé Dr Phra Bhodhinandhamunee déclara : « Nous pouvons tous être paisibles et heureux en nous en remettant au Bouddha, Dhamma et Sangha. Il n’est nullement besoin de se battre, bien qu'il semble y avoir des combats partout où se pose notre regard. Je n'ai rien de particulier à dire. Je rends hommage à Sa Sainteté le Dalaï-Lama. Je souhaite la bienvenue à tous dans ce temple. Il y a 2 600 ans, le Bouddha est apparu et a révélé le Dhamma au profit de l'humanité. Sa Sainteté fait quelque chose de semblable aujourd'hui avec son message de paix et de non-violence.
« Je pratique la tradition de la forêt en Thaïlande depuis 40 ans et j'estime que c'est quelque chose qui devrait être préservé pour le bien du monde. Le 26 janvier dernier, Sa Sainteté a béni ce monastère et m'a dit pendant le déjeuner qu'une façon de répandre la paix et l'harmonie serait d'organiser un séminaire de moines des différentes traditions, comme nous le faisons aujourd'hui. Je prie pour la bénédiction du Bouddha en cette occasion. »
Sa Sainteté entama son discours en faisant observer que les moines thaïlandais, qui font partie de la tradition pali, soutiennent le vinaya théravada. En Chine, il y a le vinaya dharmagupta, tandis que les Tibétains ont préservé le vinaya mulasarvastivadin, établi par le Grand Abbé Shantarakshita. Les différences entre ces traditions sont minimes.
« Après son illumination, le Bouddha ordonna des moines, à qui il signifia en premier comment porter la robe. Beaucoup plus tard, juste avant sa mort, il dit aux moines : "après mon départ, vous pouvez vous en remettre au Soutra du pratimoksha. Le fondement du bouddhisme est le vinaya. Le Dharma du Bouddha est destiné à atteindre la libération, que nous devons accomplir pour surmonter nos émotions perturbatrices. Il comprend les trois entraînements, celui de l’éthique, de la concentration et de la sagesse, dont le plus important est la sagesse. Pour un véritable développementde la sagesse, il vous faut la concentration et pour développer la concentration, il vous faut l'éthique.
« Les Bouddhas ne nettoient pas les actions malsaines avec de l'eau, pas plus qu’ils n'enlèvent les souffrances des êtres avec leurs mains, ni ne transplantent leur propre réalisation dans les autres. C'est en enseignant la vérité de l’ainsité qu'ils aident les êtres à trouver la liberté. Il y a 2 600 ans, le Bouddha nous confia la responsabilité du changement. Comment a-t-il aidé les êtres ? En partageant sa propre expérience.
« Le vinaya est le fondement du Dharma et fait partie de la structure générale des enseignements. Nous avons aussi des enseignements spécialisés, comme les tantras, transmis à des disciples particuliers. Les Quatre nobles vérités font partie de la structure générale. Les instructions du tantra de l’union insurpassable, pour manipuler les énergies internes, les chakras et les gouttes, n’étaient destinées qu'à certains disciples en particulier.
« En Thaïlande, au Laos et au Cambodge, il y a une excellente observance du vinaya. Nous avons aussi cette pratique, mais la nôtre vient de la tradition sanskrite. Nous étudions les commentaires des maîtres indiens Gounaprabha et Shakyaprabha. Les traditions théravada et mulasarvastivadin n’ont pas le même nombre de vœux, mais la différence dans la pratique est infime. Par exemple, la tradition mulasarvastivadin a sept vœux quant à la façon de porter la robe ; la tradition théravada, un seul. De telles différences sont mineures ; l'esprit et l'intention sont les mêmes. Il est important que nous discutions de notre pratique commune du vinaya, comment garder les vœux et comment les restaurer si on les enfreint.
« Les trois entraînements de l’éthique, de la concentration et de la sagesse, nous les partageons également avec les traditions non bouddhistes. La différence réside dans notre approche de la sagesse. Les traditions non bouddhistes de l'Inde postulent un soi avec une existence indépendante. Ils considèrent également que les absorptions des mondes de la forme et du sans-forme sont plus pacifiques que le monde du désir. Le bouddhisme, cependant, enseigne le non-soi. Parmi ses quatre écoles de philosophie, les écoles de l'esprit seul et de la voie du milieu rejettent toute forme de soi permanent, indépendant, unique et autonome ; en dépit du fait qu'il semble parfois qu'il y ait un soi, qui serait le dirigeant ou le maître des cinq agrégats, la combinaison corps-esprit.
« Les écoles de l'esprit seul et de la voie du milieu affirment que les choses n'existent pas telles qu'elles apparaissent. On y enseigne le non-soi non seulement des personnes, mais aussi des phénomènes. L’école de l'esprit seul parle de la non-dualité du sujet et de l'objet. On y soutient que les choses n'ont pas d'existence extérieure et ne surviennent que sous l’effet d’empreintes déposées sur l’esprit. Cela correspond aux observations de la physique quantique, où rien n'a la moindre existence objective.
« L'école de la voie du milieu dit que rien n'a d’existence véritable, ce qui aide à combattre notre conception erronée selon laquelle les choses existent de manière indépendante. Ils affirment que les choses sont simplement désignées. »
Sa Sainteté fit observer que le Bouddha conseillait à ses adeptes : « Comme le sage teste l'or en le brûlant, le coupant et le frottant, ainsi, bhikshous, devez-vous accepter mes paroles après les avoir testées, et pas simplement par respect pour moi. » Les maîtres de Nalanda suivirent cette approche. L'école de la voie du milieu dit que rien n'a d'identité fondamentale en soi-même et de soi-même, parce que les choses sont produites de manière dépendante. Sa Sainteté cita les versets des Stances fondamentales de la voie du milieu de Nagarjouna :
On explique que tout ce qui se produit
En interdépendance est vacuité ;
Cela est désigné comme existant dépendamment (d’autre chose),
Et c’est cela même que la Voie médiane
Il n'existe rien
Qui ne soit produit en dépendance.
Par conséquent, il n'existe rien
Qui ne soit vide.
Sa Sainteté fit remarquer que l'utilisation rigoureuse de la raison et de la logique dans la tradition de Nalanda est une chose que les scientifiques modernes admirent. Il cita un autre verset de Nagarjouna, expliquant que ce qui est vrai pour le Tathagata l'est aussi pour nous :
Il n’est pas les agrégats ; il n’est pas différent d’eux ;
Les agrégats ne se trouvent pas en lui, ni lui en eux ;
Le Tathagata n’est pas le possesseur des agrégats ;
Qui est donc le Tathagata ?
Sa Sainteté souligna que l’essentiel est de surmonter les émotions perturbatrices qui se produisent à cause de l'ignorance omniprésente. Nagarjouna fait également des remarques à ce sujet :
En éliminant le karma et les émotions perturbatrices, on atteint le nirvana.
Le karma et les émotions perturbatrices viennent des pensées conceptuelles.
Celles-ci proviennent de la fabrication mentale.
La fabrication cesse grâce à la vacuité.
S'exprimant en faveur de l'échange thaïlandais-tibétain mis en place récemment, Sa Sainteté déclara combien il était heureux d'avoir eu l'occasion de contribuer à cette discussion.
La session se termina par des mots de remerciements, puis Sa Sainteté fut escorté jusqu’à la résidence du Sangharaja, où il déjeuna avec les membres invités de la Sangha. Après le déjeuner, il posa pour des photos avec différents groupes de moines, ainsi qu'avec des sympathisants et étudiants laïques, puis s’en retourna au monastère tibétain principal, Gadèn Phelgyeling.