Padum, Zanskar en Inde
Sous le soleil brûlant du Zanskar ce matin, protégé d’une ombrelle de cérémonie, Sa Sainteté le Dalaï-Lama a marché du nouveau Phodrang jusqu’au pavillon à l’avant du site réservé à son enseignement. Comme de coutume, il s'est arrêté ici et là pour interagir avec le public. Il a brièvement visité le temple qui se trouve derrière le pavillon d'enseignement avant de se rendre sur le devant de la scène pour saluer la foule d'environ 16 000 personnes - moines et nonnes, laïcs jeunes et vieux, pour la plupart zanskaris, mais aussi quelques visiteurs venus d'autres parties du monde. Leurs expressions de visage variaient de la dévotion sérieuse aux sourires rayonnants, reflétant leur réel plaisir à voir Sa Sainteté devant eux.
Les filles de l'école de la Branche du CBAC s’adonnaient au débat avec enthousiasme pendant que Sa Sainteté se frayait un chemin vers le trône où il s’est assis. Un thé lui fut servi au moment où l’on récitait les prières d'introduction.
« Je suis très heureux d'être de nouveau ici au Zanskar, a annoncé Sa Sainteté. Les monastiques et le grand public révèlent une fois encore une dévotion inébranlable et nous avons à nouveau l'occasion de partager un discours sur le Dharma. Je suis également ravi d'avoir l’opportunité de vous donner quelques conseils. J'aimerais remercier les organisateurs et tous ceux qui travaillent avec eux pour avoir permis que cette rencontre puisse avoir lieu.
« M. Namgyal et le roi du Zanskar sont amis depuis longtemps. Je suis heureux de les revoir.
« Partout où je vais dans le monde, j'explique qu'en tant qu'êtres humains, nous sommes tous semblables. Nous voulons tous le bonheur et ne recherchons pas la souffrance. Nous avons une intelligence suffisante pour distinguer le bien du mal. En tant que disciples du Bouddha, nous générons une attitude intérieure altruiste qui nous amène à prier pour le bien des êtres jusqu’aux lointaines galaxies. Nous n'avons cependant aucun lien direct avec eux. Même sur cette terre, il y a des animaux, des oiseaux, des insectes et des poissons qui désirent le bonheur eux aussi, mais il y a peu de choses que nous pouvons faire pour les instruire. Avec les êtres humains, il y a la possibilité de communiquer. Notre intelligence nous permet d'accroître notre bonheur, mais ce qui est particulièrement important, c'est de le faire sur la base de l'esprit, notre sixième conscience, plutôt qu’au-travers de nos facultés sensorielles.
« Par conséquent, nous devrions viser la paix de l'esprit. Et aujourd'hui, même les scientifiques y sont attentifs. Nous avons besoin d'un cœur chaleureux, qui est la source de tout bien-être. Les scientifiques disent qu'être compatissant apparaît comme étant la nature humaine fondamentale. Nous devons apprendre à développer cela et à réduire la colère, la jalousie et l'arrogance. Il ne s'agit pas tant d'une question de prière, mais d’entraînement. Ainsi, mon premier engagement est de faire grandir la compassion entre êtres humains. »
Sa Sainteté a expliqué que son deuxième engagement est de favoriser l'harmonie et l'amitié entre les différentes traditions religieuses du monde parce qu'elles sont toutes potentiellement bénéfiques pour leurs adeptes. Il a parlé d'amis qui sont jaïns, hindous, juifs, chrétiens et musulmans. Il a mentionné qu'aujourd'hui en Inde, toutes les grandes traditions religieuses du monde sont florissantes. Pendant ce temps, ailleurs dans le monde, des gens se battent et s'entretuent au nom de leur foi. Puisque toutes ces traditions enseignent l'amour et la compassion, la tolérance et le pardon, il devrait y avoir entre elles de l'amitié et du respect. C'est ce que Sa Sainteté cherche à réaliser.
Il a noté qu'au Ladakh et au Zanskar, les gens sont principalement bouddhistes, mais qu'il y a aussi des musulmans et quelques chrétiens ici. Puisque tous, et même ceux qui n'ont pas de foi particulière, recherchent le bonheur, il est nécessaire de vivre dans l'amitié. Nous devrions voir les autres êtres humains comme nos frères et sœurs. Il a fait remarquer que dans certains textes, on peut faire référence aux " ennemis du Dharma ", mais comme ce sont leur détresse mentale et leurs émotions perturbatrices qui les rendent ainsi, ils devraient être des objets de compassion.
Demandant au traducteur zanskari de donner l'essentiel de ce qu'il avait dit, Sa Sainteté a fait remarquer l'importance de connaître le tibétain, en particulier la capacité de lire le tibétain et la littérature du Kangyur et du Tengyur qui est écrite en tibétain.
Il a observé qu'à Nalanda, il y avait des représentants des quatre écoles de la pensée bouddhique. Bhavavivéka a écrit sur ces points de vue et d'autres points de vue philosophiques différents. Cependant, il n'y avait pas d'antagonisme entre eux. Au Tibet, les Nyingmas qui enseignaient la pratique révolutionnaire de la Grande Perfection, les Kagyus, qui enseignaient le Mahamoudra, et les Sakyas qui soulignaient l'indivisibilité du samsara et du nirvana, représentaient différentes approches pour atteindre le même but. Parfois, malheureusement, il y avait un antagonisme entre ces traditions. Sa Sainteté a clairement indiqué que s'il existait un tel antagonisme entre les traditions spirituelles au Ladakh, il était temps d'y renoncer.
Clarifiant qu'en tant que Tibétain, portant le titre de Dalaï-Lama, son troisième engagement étant orienté vers le Tibet et ses six millions de Tibétains qui placent leur espoir en lui, il a déclaré :
« C’est avec fierté et bonheur que j'ai abandonné les responsabilités politiques que les Dalaï-Lamas ont assumées depuis le 5e. Je les ai transférées à une direction d’élus. Il n'est pas utile que les chefs religieux s’impliquent trop dans les affaires politiques. Je m'oppose à la "politique du lama" qui conduit à une division entre "nous" et "eux". Si nous nous rencontrons de nouveau, je vous le répéterai, mais si ce n’est pas le cas, le dernier souhait que je vous adresse est celui-là.
« En tant que Tibétain, j'ai la responsabilité de préserver et de promouvoir la culture tibétaine, non seulement dans l'intérêt des Tibétains, mais aussi dans l’intention de maintenir en vie les enseignements du Bouddha. C'est quelque chose qui intéresse aussi beaucoup de Chinois.
« Ensuite, il y a la question de la protection de l'environnement naturel du Tibet. C'est un écologiste chinois qui a reconnu que la contribution du plateau tibétain au climat mondial était aussi importante que celle des pôles Nord et Sud. Il a renommé le Tibet le troisième pôle. La diminution de la neige et le recul des glaciers dans les montagnes signifient que les réserves d'eau vont s'amenuiser. La terre va devenir comme les déserts de l'Afghanistan que vous voyez quand vous volez de l'Inde vers l'Europe. Il est donc important d'essayer de préserver l'écologie tibétaine.
« Les relations entre le Tibet et la Chine ne sont pas nouvelles. Aux VIIème, VIIIème et IXème siècles, il existait des liens étroits entre les empires du Tibet, de la Chine et de Mongolie. Des alliances de mariage se formèrent. Plus tard, à l'époque du régime Sakya, la relation prêtre-patron fut établie. Aujourd'hui, cependant, le système totalitaire chinois implique que bon nombre de personnes en Chine ignorent le statut légitime du Tibet. Néanmoins, à mesure que les Chinois étudient et voyagent à l'étranger, ils ont plus d’occasions pour s’instruire.
« Si je vous ai parlé de ces trois engagements, c'est pour que vous puissiez les partager avec moi, au vu de votre dévotion. »
Reprenant le livret distribué au public contenant le texte à enseigner et d'autres en tibétain, hindi et anglais, Sa Sainteté leur a demandé de se rendre à la page de la Louange aux 17 maîtres de Nalanda. Il l'a ensuite lue, tout en commentant les versets qu’il a jugés bons de commenter. La Louange commence par une célébration du Bouddha, puis de Nagarjuna. Bien qu'il ait vécu il y a longtemps, nous pouvons encore voir ses qualités dans les écrits qui nous sont parvenus, comme les Six collections de la raison. Il y a seize volumes d'enseignements de la Perfection de la Sagesse dans le Kangyur et Nagarjuna a éclairé la signification explicite de la vacuité. Maitreya, qui peut avoir été un être humain ou une divinité, a expliqué leur signification implicite.
Sa Sainteté a fait remarquer l'importance de distinguer l'histoire du mysticisme, en observant que s'il est une histoire selon laquelle Songtsèn Gampo, à sa mort, s'est dissous en une statue d'Avalokitéshvara, il y a aussi quelque chose qu'on appelle sa tombe.
La louange se poursuit par un hommage aux disciples de Nagarjuna - Aryadéva, Bouddhapalita, Bhavavivéka et Chandrakirti, qui ont tous contribué à notre compréhension de la sagesse. Shantidéva, quant à lui, dans son Compendium de l’entraînement de l’esprit et dans son Guide de la pratique du bodhisattva, a donné un compte rendu complet sur la façon de gérer la colère et la haine et de générer l'esprit d'éveil – la bodhicitta. Grands maîtres de philosophie et de logique, Shantarakshita et Kamalashila ont eu la responsabilité d’instaurer la tradition de Nalanda au Tibet.
Asanga fut le fondateur l’école de l’Esprit seul. Son frère Vasubandhu, quant à lui, a beaucoup écrit sur la Connaissance supérieure (Abhidharma). Dignaga et Dharmakirti sont réputés pour leur œuvre concernant l'utilisation de la logique et de la raison. La tradition tibétaine du débat nous vient de ces deux maîtres, avec la contribution de Sakya Pandita et Chapa Tcheukyi Sengué.
Vimuktiséna, un élève de Vasubandhu, a contesté l'interprétation du point de vue de son enseignant en adoptant le Madhyamaka à la place de l’école de l’Esprit seul. La Louange continue par l’admiration portée à Haribhadra, un éminent commentateur de l'Ornement des réalisations claires de Maitreya, aux maîtres du Vinaya, à Gunaprabha et à Shakyaprabha pour finir par le grand synthétiseur de ces différentes traditions au XIème siècle, en la personne de Dipankara Atisha.
Alors qu'il achevait sa lecture, Sa Sainteté attira l'attention sur l'aspiration qu'il avait faite en composant cette louange :
Puissé-je, vie après la vie, obtenir la bonne base (d'une vie humaine) possédant les trois préceptes
Et contribuer à la doctrine comme l'ont fait les grands pionniers,
Quant au maintien et à la propagation des paroles et points de vue des enseignements au travers de l'explication et de la pratique,
Et au contexte de sa composition, comme indiqué dans le colophon,
À l'heure actuelle, alors qu’il y a dans le monde ordinaire des progrès considérables dans les domaines de la science et de la technologie, mais que nous sommes aussi distraits par l'agitation de nos vies bien remplies, il est extrêmement important que ceux d'entre nous qui suivent le Bouddha aient une foi basée sur la connaissance de son enseignement.
« Récemment, un groupe de représentants bouddhistes de la région himalayenne s'est réuni à Gurgaon, a fait remarquer Sa Sainteté. Ils ont décidé d'agrandir les temples et les monastères existants dans la région pour en faire des centres d'études. J'ai été ravi de cette initiative et je les ai invités à expliquer davantage leur intention lors de la célébration de mon anniversaire à Leh. »
Sa Sainteté a commencé sa lecture des Étapes de la voie graduée vers l’éveil de Tsongkhapa par une introduction vis-à-vis de l'auteur. Tsongkhapa est né, a grandi et a commencé ses études à Amdo. À l'âge de seize ou dix-sept ans, il est parti pour le Tibet central où il a étudié dans tous les centres d'études existants. Il a reçu de nombreux enseignements du Sakyapa Rendawa ainsi que des maîtres Drikung et Nyingma. Dans ses mémoires, Un destin accompli, il déclare qu'il ne s'est jamais satisfait d'une étude partielle. En plus de son oeuvre sur les Étapes de la voie, il a composé cinq traités sur la vue Madhyamaka.
Dans le verset 9, il demande :
Quel être intelligent ne serait pas captivé par les Étapes de la voie des trois types d’êtres ?
Les versets 11 et 12 commencent par deux strophes pour se terminer par un refrain répété :
Moi, yogi, j'ai pratiqué de cette façon.
Vous qui cherchez la libération, vous devriez faire de même.
Sa Sainteté a souligné qu'il y a aussi une tradition qui modifie la finalité de ce refrain pour faire une promesse :
C'est ce que mon vénéré et saint maître a fait,
Et moi qui cherche la libération, je ferai de même.
Les versets 17 et 18 complètent le conseil pour la personne de capacité initiale, tandis que les versets 19 et 20 se rapportent à la personne de capacité moyenne et les versets 21 et 22 introduisent la Bodhicitta en tant que pilier central de la voie du véhicule suprême et commencent l'explication de la voie d'une personne de grande capacité. Les paires de versets suivants discutent de la pratique des six perfections : la générosité, l'éthique, la patience, l'effort, la concentration et la sagesse, qui comprend la façon dont les choses existent réellement. Le triple verset suivant décrit l'impact d'une combinaison entre un esprit puissant résidant dans le calme et la perspicacité aiguisée de la sagesse.
Les versets 40 et 41 font référence au vide semblable à l'espace expérimenté en méditation et au vide des apparences semblables à une illusion que vous voyez lorsque vous sortez de méditation, union des moyens habiles et de la sagesse, dont il est fait éloge comme inspirant les actions transcendantes des bodhisattvas. Dans les versets 42 et 43, le dernier conseil mentionne l'exigence courante pour l’entrée sur le chemin causal et sur le chemin résultant du Grand Véhicule. Sur cette base, vous devriez vous embarquer sur la haute mer des classes de tantra, et en suivant les instructions orales complètes, vous donner du sens à votre vie libre et fortunée.
Sa Sainteté a conclu l'enseignement d'aujourd'hui en annonçant que demain il donnerait l'initiation du Grand compatissant, Avalokitéshvara, suivie d'un rituel de requête pour la longue vie de Sa Sainteté.