Mumbai, Inde
Ce matin, Sa Sainteté le Dalaï-Lama était l’invité de l'université Guru Nanak, qui est située dans un quartier de Sion appelé Guru Tegh Bahadur Nagar, du nom du neuvième des dix gourous sikh. L'université cherche à offrir une éducation pour une société intégrative et a invité Sa Sainteté à donner une « conférence positive » sur la compassion. Il fut chaleureusement accueilli à son arrivée par le directeur Dr Vijay Dabholka et les membres de la direction. Ils l’accompagnèrent dans les couloirs jusqu’à l’auditorium où un public de mille étudiants et professeurs les attendait.
Sa Sainteté aida à allumer une lampe et participa aux prières d’ouverture de l’événement. Le directeur commença son discours par la salutation traditionnelle sikhe « Wahe Guruji ka Khalsa, Wahe Guruji ki Fateh ». Il déclara que c’était un honneur de pouvoir accueillir Sa Sainteté à l'université et qu’il avait hâte d’entendre ce qu’il avait à dire sur la promotion de la compassion dans un monde qui a connu de tels changements, comme Internet, les voyages spatiaux et la mondialisation.
Sadar Manjit Singh, au nom de la direction, ajouta : « Nous souhaitons la bienvenue à Sa Sainteté dans ce temple de l’apprentissage, confiants que cet échange nous enrichira tous. Nous apprécions votre message de paix et d’harmonie. »
Sa Sainteté reçut une plaque d’argent gravée, un bouquet et une écharpe en témoignage d’affection. Une brève introduction mentionna sa naissance au Tibet, la formation qu’il suivit dans la tradition de Nalanda, son admiration pour le Mahatma Gandhi et le fait que son message d’amour, de compassion et de pardon incita le Comité Nobel à reconnaître sa bonté et son respect envers tous les êtres vivants.
Expliquant à quel point il n’aime pas les formalités, Sa Sainteté salua le public comme ses « frères et sœurs ».
« Dans le monde d’aujourd’hui, il est important que nous reconnaissions les 7 milliards d’êtres humains comme nos frères et sœurs. En tant qu’êtres humains, nous avons tous non seulement le désir, mais aussi le droit d’être heureux. Cependant, nous avons tendance à nous préoccuper des différences de nationalité, de foi religieuse, etc. qui nous amènent à penser en termes de « nous » et « eux ». Nous négligeons le fait qu’à un niveau plus profond, nous sommes tous pareils en tant qu’êtres humains et qu’il n’y a aucune raison de nous battre et de nous entretuer. Quand je rencontre d’autres personnes, je me considère comme un autre être humain. Si je pense que je suis Tibétain, bouddhiste ou Dalaï-Lama, cela me distingue des autres.
« Aujourd’hui, nous fonctionnons dans une économie mondiale et nous sommes confrontés à la menace du changement climatique qui, selon les experts, est grave et risque d’empirer. Ces problèmes touchent l’humanité tout entière et nous devons nous entraider en travaillant ensemble pour y faire face. C’est pourquoi il est important de ressentir l’unité de l’humanité.
« De la même façon, puisque toutes les traditions religieuses s’intéressent aux êtres humains et leur apportent des bienfaits, nous pouvons toutes les respecter. Nous pouvons même apprendre les unes des autres. À cet égard, l’Inde est un exemple pour le reste du monde. J’admire Guru Nanak, qui était d’origine hindoue et fit un pèlerinage à La Mecque en signe de respect. Quel beau geste !
« Je crois que ce genre d’attitude découle de la longue tradition indienne d’ahimsa. La non-violence ou ahimsa est la conduite, mais la motivation est karouna ou compassion. L’une découle de l’autre de sorte que la colère ne peut être liée à ahimsa. Nous avons besoin de ce type de qualités, ici et maintenant, au 21ème siècle, car en tant qu’êtres humains, nous sommes essentiellement les mêmes et nous devons tous vivre ensemble sur cette petite planète.
« Je demande parfois si la religion reste pertinente aujourd’hui, parce que dans le cas contraire, nous pourrions tout simplement l’oublier. Nous vivons dans un monde matérialiste où les gens croient que la colère, la cupidité, etc. font simplement partie de nous. Le message transmis par les religions sur l’amour, la tolérance et le contentement fournit une vision qui contre ces émotions destructrices. L’Inde est le seul pays qui pourrait combiner l’éducation moderne avec le savoir ancien sur la façon de reconnaître et d’affronter nos émotions perturbatrices.
« Les pratiques de shamatha et de vipashyana, pour cultiver le calme mental et la vue supérieure analytique, peuvent nous aider à discipliner notre esprit turbulent. Nous avons besoin de développement matériel, mais aussi de principes moraux. Puisque les gens trouvent espoir et inspiration dans la pratique religieuse, elle demeure pertinente aujourd’hui. De plus, l’idée de violence au nom de la religion est contradictoire et inimaginable. C’est pourquoi, tout comme je m’engage à favoriser l’harmonie entre les religions, je m’engage également à promouvoir les moyens de développer la paix de l’esprit, qui est la base essentielle sur laquelle nous pouvons construire une paix mondiale durable. »
En ce qui concerne le Tibet, Sa Sainteté expliqua qu’il est déterminé à défendre la protection de son environnement naturel. Il cita l’observation d’un écologiste chinois selon laquelle le Tibet est aussi important pour l’équilibre du climat mondial que les pôles Nord et Sud, qu’il a donc appelé le troisième pôle.
Il ajouta qu’il est déterminé à soutenir les connaissances philosophiques, psychologiques et sur la logique du Tibet, ainsi que la langue tibétaine, qui permet de les exprimer avec la plus grande précision. Ces derniers temps, il s’est en outre attaché à faire revivre l’ancien savoir indien chez les Indiens modernes en vue de montrer comment développer la paix de l’esprit.
Plusieurs questions furent posées par le public, et la première portait sur les espoirs de Sa Sainteté pour le Tibet. Il répondit que malgré toutes les épreuves que les Tibétains ont traversées, leur esprit n’est pas soumis et reste fort. Les partisans de la ligne dure chinoise n’ont pas réussi à supprimer la langue et la culture tibétaines. De nos jours, les bouddhistes chinois sont de plus en plus nombreux à apprécier la tradition bouddhiste tibétaine. Il fit remarquer que les choses changent et qu’il n’y a aucun avenir pour un système totalitaire.
Sa Sainteté expliqua à une femme, qui lui demandait pourquoi il n’y avait pas de bhikshounis, des moniales pleinement ordonnées, dans la tradition tibétaine, que Shantarakshita avait établi la discipline monastique moulasarvastivadine au Tibet. Selon cette tradition, l’ordination des bhikshounis exigeait la présence d’une abbesse bhikshouni, or aucune ne vint au Tibet. Ces dernières années, cependant, certaines moniales tibétaines ont pris l’ordination dans la tradition chinoise.
Dans le passé, les moniales tibétaines ne suivaient pas d’études intensives, mais au cours des 40 dernières années, Sa Sainteté les y a encouragées. Par conséquent, il y a maintenant des moniales qui ont reçu le diplôme de guéshéma, indiquant qu’elles ont acquis une formation et des connaissances équivalentes à celles de moines ayant les mêmes qualifications.
Un autre intervenant voulut en savoir plus sur la pratique de vipashyana. Sa Sainteté expliqua que shamatha, ou développement du calme mental, est une pratique de méditation pour cultiver une concentration en un point, ce qui rend l’esprit plus puissant. Vipashyana implique une méditation analytique qui mène à la vue supérieure. Grâce à l’analyse, nous pouvons comprendre de quelle façon les émotions destructrices comme la colère anéantissent notre paix de l’esprit. De même, elle révèle comment la compassion apporte conviction, confiance en soi et force intérieure, des qualités qui nous permettent de vivre plus honnêtement, plus sincèrement.
Lorsqu’on lui demanda s’il lui arrivait de se mettre en colère, Sa Sainteté admit que parfois cela arrivait, mais ne durait pas. Enfin, on lui demanda de citer la seule chose qui apporterait un bénéfice profond et durable, et il répondit : « Développer la chaleur du cœur ».
Des remerciements furent exprimés en hindi, puis l’ensemble des participants se leva pour l’hymne national.
Sa Sainteté quitta la scène, et ses hôtes l’accompagnèrent jusqu’à sa voiture. Sur la route à l’extérieur des portes de l'université, des Tibétains et d’autres sympathisants se rassemblèrent pour l’accompagner. Il leur sourit et leur fit signe en passant.