Thektchèn Tcheuling, Dharamsala, Inde,
Le Pr. Yuan Tseh Lee ouvrit la troisième journée d’échanges entre scientifiques chinois de Taïwan et des États-Unis et Sa Sainteté le Dalaï-Lama, en exprimant l’extrême satisfaction des intervenants pour cette opportunité. Il parla ensuite longuement des défis et possibilités pour une planète durable. Après avoir attiré l’attention sur la formidable source d’énergie que représente le soleil pour la Terre, il montra une photographie de notre planète depuis l’espace. Il rapporta l’observation d’un philosophe selon laquelle voir le monde de cette façon, sans frontières, inspirerait les gens à œuvrer ensemble pour le protéger - cela s’est-il déjà produit - demanda-t-il.
Le Pr. Lee souligna l’apparition des êtres humains il y a deux millions d’années et leurs débuts en l’agriculture il y a dix mille ans. Cela a permis le peuplement et la construction de structures plus grandes pour y vivre. Sa Sainteté s’interrogea sur la migration des êtres humains hors d’Afrique. Le Pr. Lee la data comme ayant eu lieu il y a 50 000 ans.
C’est la révolution industrielle qui apporta des changements considérables. Jusque-là, la plus grande partie de l’énergie provenait du soleil, mais avec la révolution industrielle, les gens commencèrent à creuser pour trouver du charbon, ce qui leur permit de fabriquer de l’acier, du ciment, etc. Bientôt, l’essentiel de l’énergie était produit à partir de combustibles fossiles comme le charbon, le pétrole et le gaz naturel. La consommation d’énergie fortement augmenta avec l’accroissement de la population. Au début du 20ème siècle, la population mondiale était de 1,5 milliard d’habitants ; à la fin du siècle, elle était de 6 milliards et elle dépasse aujourd’hui les 7 milliards d’individus.
Au fur et à mesure de la croissance de la population, la pollution qui occupe aujourd’hui l’air de nos villes a pris de l’ampleur. La combustion de combustibles pour l’énergie a augmenté les émissions de gaz à effet de serre. Il en résulte que la chaleur qui auparavant s’échappait ne peut plus le faire, alors que l’énergie du soleil continue de pénétrer l’atmosphère.
Le Pr. Lee rapporta qu’à mesure que le réchauffement de la planète s’intensifie, des phénomènes météorologiques extrêmes se produisent. Cette année, en 2018, on a battu tous les records de température, de typhons destructeurs et d’incendies de forêt. Il fit remarquer qu’à moins de prendre des mesures correctives, il sera bientôt difficile de vivre sur terre. En 2015, à Paris, l’ONU a fixé des objectifs de développement durable :
1. viser à limiter l’augmentation moyenne de la température mondiale à 2 °C ou mieux 1,5 °C
2. épargner 100 milliards de dollars pour aider les pays en développement d’ici 2020
3. respecter les engagements en matière de réduction des émissions de carbone d’ici 2020
Le professeur fit remarquer avec ironie que même après de terribles catastrophes, les gens les considèrent comme des événements insolites plutôt que comme quelque chose qui risque de se reproduire. Il cita un livre écrit par un scientifique japonais en 2000 qui prédisait que selon l’évolution actuelle, l’humanité disparaîtrait en 80 ans. Les gens n’ont pas voulu le prendre au sérieux.
Le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) a recommandé que des changements majeurs soient apportés. Le changement climatique doit être reconnu comme un problème global qui exige une solution mondiale, avec un objectif de zéro émission de carbone d’ici 2050. Sur le plan social, il est nécessaire de se détourner du surdéveloppement. Le Pr. Lee rappela qu’au Sommet de Rio en 1992, le Premier Ministre norvégien avait laissé entendre que le développement durable était ce qui convenait à la génération actuelle sans compromettre les besoins de la génération suivante. D’un point de vue technologique, il est temps d’abandonner complètement les combustibles fossiles au profit de moyens de production d’énergie moins onéreux.
Le professeur énuméra cinq directions à prendre pour la viabilité mondiale :
a) des réponses globales aux problèmes mondiaux
b) un retour à la nature, retour au soleil
c) vivre mieux en consommant moins
d) maîtriser l’explosion démographique
e) améliorer l’égalité dans le monde, ce qui signifie à minima combler le fossé entre riches et pauvres.
« Formidable ! » répondit Sa Sainteté, « le réchauffement climatique est très sérieux et donne lieu à de plus en plus de catastrophes naturelles. Comme tout est interdépendant, nous devons réévaluer notre mode de vie et adopter des sources d’énergie alternatives. Les grandes entreprises et les nations puissantes doivent prendre leurs responsabilités. Le retrait des États-Unis de l’accord de Paris, c’est très triste. Dans ces circonstances, il est important que les scientifiques parlent des dangers auxquels nous sommes confrontés et alertent le public. Je reconnais que l’écart entre riches et pauvres est également quelque chose de très sérieux et que nous devons prendre des mesures pour le combler en aidant les pauvres.
« Au cours des deux derniers jours, nous avons centré nos débats sur les phénomènes extérieurs, mais le vrai changement dans le monde ne viendra que d’un changement de cœur. L’égocentrisme est nuisible ; nous devons plutôt penser en termes globaux. Nous pouvons changer la façon de penser des individus par l’éducation et les scientifiques peuvent y contribuer en fournissant des informations détaillées. En fin de compte, nous devons changer nos attitudes intérieures, non pas par la loi mais par l’éducation, parce que les problèmes qui viennent d’être décrits concernent le monde entier.
« Lors d’une rencontre des lauréats du prix Nobel de la paix il y a quelques années, nous avons discuté de la suppression des armes nucléaires et j’ai suggéré que nous devions établir un échéancier et le faire respecter par les nations concernées. Des représentants du GIEC étaient alors présents. Il est nécessaire qu’il y ait une autre réunion de ce type qui se concentre sur le changement climatique et sur les mesures pratiques qui doivent être prises pour le dissiper. »
Après une courte pause-thé, le Dr Thupten Jinpa prit la relève en tant qu’animateur. Avant d’ouvrir le débat à l’assistance, il profita de l’occasion pour présenter deux invités, Susan Bauer-Wu, présidente de l’Institut Mind & Life aux États-Unis et Amy Varela, présidente de l’Institut Mind & Life en Europe, en les félicitant pour le bon travail accompli.
Le Pr. Maw-Kuen Wu demanda à Sa Sainteté de clarifier comment les choses évoluent depuis l’espace.
« Quand nous parlons d’espace vide, » répondit-il, « nous devons avoir une perspective claire sur le contexte. Il y a beaucoup d’espace dans cette pièce, par exemple. Il y a également un grand nombre de particules. Au niveau atomique, tous les atomes occupent l’espace. La façon dont l’espace vide remplit son rôle est complexe. Les particules ont de l’espace pour se déplacer et elles peuvent même se heurter les unes aux autres. Dans les exposés de physique quantique que nous avons entendus, nous nous sommes focalisés sur le monde physique. Maintenant, nous devons aussi le faire sur le monde intérieur, en accordant plus d’attention à la conscience mentale.
« Beaucoup de spécialistes du cerveau n’acceptent toujours pas l’idée que l’esprit ne se limite pas à une fonction du cerveau. Et pourtant, je connais des méditants qui peuvent rester concentrés pendant une heure ou plus. Un Américain que je connais peut maintenir sa concentration jusqu’à trois heures et pendant ce laps de temps, des expériences plus profondes se manifestent. J’ai mentionné Richie Davidson qui étudie la conscience subtile qui se manifeste après la mort.
« Il y a également des personnes qui se souviennent de leurs vies passées. J’ai récemment entendu parler d’un enfant qui se rappelle être mort pendant les attaques du 11 septembre. Quand j’étais jeune, ma mère m’a dit que j’avais des souvenirs précis de ma vie passée. Cependant, il semble que de tels souvenirs persistent tant que le nouveau cerveau est encore frais mais s’estompent plus tard. Il y avait un garçon, né au Tibet, qui a finalement été reconnu comme la réincarnation de Guéshé Thoubtèn Tséring du monastère de Gandèn. Il a dit à ses parents qu’il devait retourner à Gandèn, mais quand ils sont allés dans ce monastère au Tibet, il a dit : « Non, celui qui se trouve en Inde ». Ils se sont rendus sur les lieux et, alors qu’ils s’en approchaient, il a été capable d’indiquer la maison où le guéshé avait vécu. Une fois à l’intérieur, il a montré du doigt un tiroir en disant que ses lunettes étaient dedans, ce qui était vrai.
« Aujourd’hui, c’est un jeune homme et tout récemment, quand je l’ai rencontré, je lui ai demandé s’il avait encore des souvenirs de sa vie passée et il a dit : « Non ». J’ai dit : « Ah, alors maintenant il y a quelqu’un d’autre comme moi. » D’autres amis m’ont dit que les souvenirs des vies passées émergent parfois quand ils méditent profondément sur la nature de l’esprit. »
Le Dr Yueh-Nan Chen demanda à Sa Sainteté si sa compréhension de la physique quantique l’aidait dans sa méditation. Il voulut également savoir si ce débat avait répondu à ses attentes et ce qu’il en espérait pour l’avenir.
« Ma pratique quotidienne est de méditer sur la vacuité » lui dit Sa Sainteté, « ainsi que sur l’altruisme. Djé Tsongkhapa parle d’approfondir la méditation sur la vacuité. Il dit que les apparences sont des productions en dépendance infaillibles, tout comme la vacuité est libre d’assertions.
« Tant que ces deux conceptions sont perçues comme séparées, vous n’avez pas encore réalisé le dessein du Bouddha. Lorsque ces deux réalisations sont simultanées et concomitantes, d’une simple vue d’une production en dépendance infaillible surgit une certaine connaissance qui détruit complètement tout mode de saisie mentale. À ce moment-là, s’achève l’analyse de la vue profonde.
« Après une telle expérience, il n’y a plus rien sur quoi s’appuyer pour l’objectivation. Les apparences ordinaires sont là pour vous rappeler que les choses sont vides. Cela ébranle la base de la saisie de l’existence intrinsèque et des projections erronées. La pensée quantique peut vraiment aider en cela.
« Une façon de vaincre l’égocentrisme est la recherche de la vacuité, que vous pouvez baser sur votre compréhension de la physique quantique, mais lorsque vous reliez cela à une aspiration altruiste basée sur l’échange de soi avec autrui, cette combinaison donne toute sa puissance.
« À propos de notre rencontre, c’était très bien. Ce qui a été discuté plus tôt et ce que nous avons développé ce matin sur le réchauffement climatique est très important. L’essentiel est de vous rappeler que rien n’existe tel qu’il apparaît et d’entraîner votre propre esprit. J’ai vraiment beaucoup apprécié nos discussions. »
Le Pr. Yuan Tseh Lee lui demanda si la fin potentielle de l’humanité l’inquiétait et Sa Sainteté répondit qu’il existe d’innombrables autres systèmes de monde et, avec eux, d’innombrables autres êtres sensibles. Néanmoins, dit-il, nous serons plus à même de faire face aux problèmes auxquels nous sommes confrontés en cultivant un sentiment d’unité de l’humanité et en considérant les autres êtres humains comme nos frères et sœurs.
Décrivant les trois derniers jours comme merveilleux, le professeur Yuan Tseh Lee déclara qu’ils avaient tous beaucoup appris. Sa Sainteté répondit : « J’espère que ce n’est qu’un début. J’aspire à ce que de telles rencontres puissent se renouveler. » À chacun des intervenants, il offrit une kata - écharpe de soie blanche - et les invita, ainsi que leurs compagnes et compagnons, à se joindre à lui pour le déjeuner.