Zurich, Suisse, le 22 septembre 2018
Ce matin, avant de se rendre à Winterthur pour assister aux célébrations du 50ème anniversaire de l'Institut du Tibet de Rikon, Sa Sainteté le Dala-Lama a accordé une interview à la télévision suisse sous la direction de la journaliste et érudite islamique Amira Hafner-Al Jabaji. Elle a commencé par s'interroger sur l'importance de l’institut.
« Pour commencer, le peuple suisse a offert de fournir du travail et des logements pour 1000 réfugiés tibétains », répondit Sa Sainteté, « qui ont formé une communauté tibétaine. Le bouddhisme étant au cœur de la culture tibétaine, il a semblé utile de créer un petit monastère en tant qu’institution culturelle. Les moines pourraient y enseigner l'esprit humain et les émotions, ce qui, bien sûr, peut aussi être étudié d'un point de vue académique. Dans un premier temps, les frères Kuhn voulaient aider les Tibétains. Par la suite, ils ont pris conscience que la culture tibétaine était quelque chose d'unique et ont voulu aider à sa préservation. »
Hafner a demandé à Sa Sainteté ses impressions sur la Suisse et il lui a dit que, comme le Tibet, c'était un pays montagneux avec un air pur et sain, mais avec un développement beaucoup plus important. Il a ajouté que lorsqu'il était au Tibet, il associait essentiellement la Suisse avec les montres, en particulier la Rolex avec son symbole représentant une couronne à cinq pointes.
Hafner a évoqué les 156 enfants tibétains qui ont été accueillis par des familles suisses, dont certains ont eu du mal à s'adapter. Sa Sainteté a expliqué qu'au tout début de l'exil, beaucoup de Tibétains avaient peu de possessions et travaillaient à construire des routes. Une offre d'aide pour les enfants tibétains semblait être une offre pour préserver leur vie.
Faisant référence à des paroles que l’on attribue à Sa Sainteté - parfois nous n'atteignons pas le but auquel nous aspirons, mais à d’autres moments, nous atteignons quelque chose à quoi nous ne nous attendions pas - Hafner lui demanda si cela lui était arrivé. « Oui, » répondit-il, « en tant que réfugiés, nous avons perdu notre pays, mais cela a créé d'autres opportunités. Si j'étais resté au Tibet tel qu’il était, ma vie aurait été beaucoup plus limitée et isolée. Pour de nombreux Tibétains, devenir réfugiés leur a permis d'avoir une éducation moderne. Pendant ce temps, nous avons restauré la formation dans les institutions monastiques. En conséquence, en Inde, nous avons maintenant environ 10 000 moines entièrement formés et capables d'enseigner, ainsi que quelques milliers de moniales.
« Le monde traverse une crise émotionnelle que seul l'entraînement de l'esprit peut résoudre. Pour compléter l'hygiène physique que nous observons pour rester en forme, nous avons besoin d'une hygiène émotionnelle pour renforcer l'esprit. »
La pluie de la nuit avait laissé un ciel couvert et il y avait un frisson dans l'air au moment où Sa Sainteté se dirigeait vers Winterthur. Arrivé à l'Eulachhalle, il a pu se rendre directement de la voiture jusqu'à la scène, en s'arrêtant pour le " Chema Changpu", tout en plaisantant avec les danseurs. Une fois Sa Sainteté assise, on récita des prières : une prière de longue vie, une prière pour les Huit présages auspicieux et autres.
L'abbé de Rikon, Khenpo Thuptèn Legmon a rendu hommage aux invités d’honneur, dont parmi eux, Sa Sainteté et les représentants du canton de Zurich. Il a expliqué comment, sous la direction compatissante de Sa Sainteté, les moines de l'Institut du Tibet de Rikon (TIR) et lui-même s’efforcent de préserver la religion et la culture du Tibet. Il a demandé à ses amis dans l'auditoire de poursuivre leur soutien pour 50 ans de plus. Il a également fait remarquer qu'au cours d'une année que l'Administration centrale tibétaine (CTA) a qualifiée « d’Année de remerciements pour l'Inde », il aimerait remercier les autorités suisses pour leur aide constante et leur générosité. Il a terminé en formulant une prière pour que Sa Sainteté vive longtemps et que l'effet de ses actes se répande dans le monde entier.
Le Président du TIR, Dr. Karma Dolma Lobsang a ensuite pris la parole, exprimant sa gratitude à Sa Sainteté pour sa présence à cette occasion. Elle a rappelé que lorsque les plans de construction de l'Institut étaient terminés et que la cérémonie de pose de la première pierre était sur le point d'avoir lieu, l'ambassade de Chine a protesté mais le gouvernement suisse n'en a pas tenu compte. Elle a déclaré que depuis l'augmentation du nombre de Tibétains en Suisse, les fonctions du TIR ont changé. Avec des représentants des quatre traditions du bouddhisme tibétain à l'Institut, il fonctionne comme un pont entre les communautés. Elle a présenté le premier des deux hommes politiques locaux en la personne du maire de Winterthur, Michael Kunzle.
Après avoir salué Sa Sainteté, le maire Kunzle a exprimé l'espoir que le TIR puisse être un lieu de paix et d'étude pour les cinquante prochaines années. Il a remercié Sa Sainteté pour sa visite qui a brièvement fait connaître sa ville sur la carte du monde. Le TIR répond à un besoin et dans ses différents programmes d'enseignement et d'étude montre ce qui peut être fait quand on en a la motivation.
Mario Fehr, président du Conseil du canton de Zurich et ami de longue date du Tibet, a annoncé que le gouvernement de Zurich félicitait le TIR à l'occasion de son 50e anniversaire. « Jacques et Henri Kuhn ont donné l'exemple », poursuit-il, « ils ne se sont pas contentés de donner du travail aux Tibétains, ils ont aussi créé un centre culturel qui est un symbole de l'intégration des Tibétains dans la vie suisse. Ils sont devenus nos amis et nos voisins ; nous nous appartenons les uns aux autres en tant que concitoyens.
« Les Tibétains y ont accompli beaucoup de choses ici grâce à leurs propres efforts, pendant que le gouvernement de Zurich contribuait au développement du TIR de diverses manières. Il a fourni des fûts qui ont été transformés en moulins à prières, agrandi la bibliothèque et rénové certains éléments du bâtiment de l'Institut. Tashi Delek. »
Le Dr Karma Dolma a présenté un groupe de jeunes Tibétains qui devaient interpréter une chanson dont les paroles ont été composées par l'abbé Thuptèn Legmon. S’en suivit une courte vidéo illustrant la fondation et le développement de l'Institut.
Norbu Tsamda, président de la Communauté tibétaine de Suisse et du Liechtenstein, quant à lui, a porté son appréciation sur les cours de religion et de culture tibétaines dispensés au TIR, sur le fait que les moines des quatre principales traditions du bouddhisme tibétain font partie de la fibre du TIR et que la bibliothèque compte 120 000 livres.
Pour l'Association des femmes tibétaines en Suisse, Mme Pema Lamdark a informé Sa Sainteté et l'audience que l’association fêterait ses 30 ans en octobre. Parmi ses diverses activités, l'association organise des prières et des offrandes pour la prospérité de tous les êtres du monastère de Rikon. À cette occasion, les représentantes de l’association ont offert à Sa Sainteté des statues représentant les protecteurs des trois familles, Avalokitéshvara, Manjoushri et Vajrapani.
Thomas Buchli, président de l'Association d'amitié suisse-tibétaine a rappelé que l’association fut fondée il y a 35 ans et qu'elle est devenue un participant important du mouvement de soutien du Tibet. Il a conclu son discours par "Bod-gyal-lo". Il a été suivi par le président de l'Association de la jeunesse tibétaine en Europe, Paldèn Tamnyèn, qui a déclaré que son association essayait de faire grandir l'intérêt des jeunes pour la langue, la religion et la culture tibétaines.
Les interprètes d'une autre chanson tibétaine portaient des costumes représentant les trois provinces du Tibet.
Un livre intitulé " Offrandes au Bouddha " fut présenté à Sa Sainteté. Ce livre explore le symbolisme de la roue qui, dans la tradition bouddhiste est devenue la Roue du Dharma, parmi les " Huit symboles auspicieux " ; Compilé par Rudolph Högger, il a été publié par l’institut du Tibet de Rikon.
Enfin, Sa Sainteté s'est adressée à l'assemblée :
« Je souhaite la bienvenue à tous les invités de renom, en vous rappelant que les défenseurs du Tibet sont les défenseurs de la vérité. Je suis très heureux d'être ici. J'ai une connexion particulière avec le monastère de Rikon et avec Winterthur. J’avais coutume de venir ici pour un traitement médical.
« À une époque où les seuls amis des Tibétains étaient le ciel au-dessus de leur tête et la terre sous leurs pieds, nous avons reçu de l'aide sous la forme de l'invitation de la Croix-Rouge suisse pour l’installation de 1000 Tibétains en Suisse. Plus tard, je me souviens qu'un Suisse du nom de Ludi s'est joint aux Tibétains qui travaillaient dans les champs lorsque les campements ont été établis à Bylakouppé.
« Le monastère de Rikon a été implanté comme un temple, mais aussi comme un lieu qui pouvait devenir un centre d'apprentissage, un lieu où il serait possible d’étudier la philosophie bouddhiste. Guéshé Ugyèn Tsétèn, le premier abbé, a jeté des bases solides pour l'avenir.
« Je respecte toutes les traditions spirituelles. Je n'essaie pas de faire du prosélytisme ou de propager le bouddhisme dans les pays non bouddhistes car je pense qu'il est généralement préférable pour les gens de s'en tenir aux religions de leur pays d’origine. Cependant, je reconnais également qu'il y a des aspects de notre tradition qui traitent de la logique et de la psychologie qui peuvent être d'un intérêt plus général.
« Pendant longtemps, les Indiens ont exploré des méthodes pour établir la paix de l'esprit qu’ils réalisaient au prix de leurs efforts pour parvenir à un esprit calme et concentré et par leur analyse de la réalité (shamatha & vipassana). Le Bouddha a quitté sa maison, a employé de telles méthodes et a acquis de l'expérience. Il a réalisé le non-soi, surmonté les émotions perturbatrices avec leurs empreintes et a atteint l'éveil à Bodhgaya. Il a compris que la saisie d’un soi intrinsèquement existant était une erreur. Avant cela, il y avait en Inde un large consensus en faveur de l'existence d'un soi unique et permanent.
« Le Bouddha a expliqué que de même qu'un chariot est désigné sur la base de ses parties assemblées, de même le soi est désigné sur la base des agrégats, la combinaison corps/esprit. Sur le Pic des Vautours, pendant le second tour de la roue du dharma, il a donné les enseignements sur la perfection de la sagesse. Des siècles plus tard, Shantarakshita apporta au Tibet ces enseignements qui forment le cœur de la tradition de Nalanda. Par la suite, pendant plus de mille ans, nous avons maintenu cette tradition vivante.
« En dialoguant avec des universitaires et des scientifiques au cours des quarante dernières années, j'ai distingué et mis de côté ce qui n'a d’intérêt que pour les bouddhistes. Je ne leur ai pas parlé de l’éveil, du nirvana, ou des vies futures, mais nous avons échangé sur la manière d’agir pour atteindre la paix de l'esprit dans la vie ordinaire.
« Grâce à notre religion et à de notre culture, l'esprit tibétain est stable. Même ceux qui commettent l'auto-immolation, s'ils sont capables d’agir ainsi, ils peuvent tout aussi bien faire du mal aux autres et pourtant ils s'en empêchent, à cause de leur religion et de leur culture. Les jeunes Tibétains d'aujourd'hui ont un esprit fort et stable. Dans le passé, des communistes engagés comme Phuntsok Wangyal ont maintenu la puissance de l’esprit tibétain. Les Tibétains préservent leur religion et leur culture avec passion.
« Aujourd'hui, Il y a des Chinois qui s'intéressent au bouddhisme du Tibet. Ils disent que la religion et la culture tibétaines seront la base pour une future réconciliation.
« En 1959, je ne savais pas si je vivrais assez longtemps pour voir l’aube d’un jour nouveau. Il y avait environ 5000 moines dont il fallait s’occuper. Nous devions nous concentrer sur la façon de maintenir nos traditions vivantes. Il y en avait, parmi les Chinois de l'époque, qui affirmaient que les Tibétains ne pouvaient rien faire d’autre que de manger de la tsampa. Il s'avère que nous, mangeurs de tsampa, avons une intelligence comparable à celle des maîtres indiens du passé.
« Je me suis fait deux amis à Varanasi, Upadhyaya et Tripathi, tous deux maîtres du sanskrit. Tripathi traduisit " l'Essence de l'éloquence " de Djé Tsongkhapa en hindi. Je lui ai demandé si Je Rinpoché serait compté parmi les érudits de Nalanda. Il répondit qu'on pouvait non seulement le compter parmi eux mais qu’il ferait partie de ceux qui sont au premier rang."
Sa Sainteté a mentionné que c'était à l'initiative de Shantarakshita que les Tibétains ont traduit la littérature bouddhiste indienne en tibétain, ce qui a donné plus de 300 volumes du Kangyour et du Tengyour. Dans son commentaire sur "La signification claire", Haribadra fait référence aux praticiens qui sont aiguisés et à ceux qui sont relativement ennuyeux. La tradition bouddhiste ne survivra que si ceux qui ont des facultés affutées étudient et pratiquent.
Le Dr Karma Dolma a exprimé ses remerciements. La fondation TIR a offert une montre suisse à Sa Sainteté.
Demain, Sa Sainteté enseignera en s’inspirant de la « Précieuse Guirlande » de Nagarjouna, du « Volume moyen des étapes de la méditation » de Kamalashila et des « Trente-sept pratiques des bodhisattvas » de Thogmé Sangpo.