Thekchèn Tcheuling, Dharamsala, Inde – Ce matin se déroula le deuxième jour des enseignements donnés par Sa Sainteté le Dalaï-Lama aux bouddhistes de Russie et des régions mongoles de la Fédération russe. Dès que Sa Sainteté est apparu sur leurs écrans, les fidèles se mirent à réciter le Soutra du cœur en langue kalmouke depuis le monastère du Temple d'or du Bouddha Shakyamouni en Kalmoukie. S’en suivit une deuxième récitation du soutra cette fois en langue russe, du Kuntsechonei Datsan de Saint-Pétersbourg et dirigée par l'abbé Buda Badmaev.
Sa Sainteté engagea la session en expliquant que, bien qu'il ait reçu la transmission de l'Ornement des soutras du grand véhicule, l’ouvrage qu'on lui avait demandé d'enseigner, il ne pourrait pas terminer la lecture en raison de sa longueur. Il annonça qu'il donnerait une introduction au bouddhisme, reviendrait sur le yoga de l'esprit d’éveil universel et répondrait aux questions de l'auditoire.
« Le Bouddha débuta son enseignement par un exposé sur les Quatre nobles vérités, révéla Sa Sainteté. Elles font référence à la véritable souffrance, à sa véritable origine, à la véritable cessation et au véritable chemin, à leur nature, à leur fonction et à leurs résultats. » Après avoir décrit la nature de ces quatre vérités, lorsqu'il déclara que la souffrance devait être connue, son intention n’était pas simplement de mettre l’accent sur les expériences douloureuses évidentes, mais également sur la souffrance sous-jacente omniprésente de l'existence conditionnée. Une fois la souffrance connue, il indiqua clairement la nécessité d’en reconnaître l’origine. Ensuite, la question était de savoir si la possibilité de surmonter l’origine de la souffrance existait réellement : la réponse fut « oui ».
« Au début de votre vie, il est probable que vous soyez plein d'émotions perturbatrices, mais si vous reconnaissez leurs effets perturbateurs, vous pouvez entreprendre de les gérer. Cela implique de vous engager dans les trois entraînements, dont le premier est la moralité. Une fois que vous reconnaissez les trois poisons que sont l'attachement, la colère et l'ignorance, et que vous vous demandez s'il est possible de les changer, vous vous apercevez que des facteurs positifs tels que l'amour peuvent les neutraliser. Les émotions négatives surgissent instinctivement en raison d'une longue accoutumance, mais il est tout à fait possible de les transformer. Elles ne résistent pas à l'épreuve de la raison.
« L’origine de la souffrance vient du karma et des perturbations mentales, que l’on peut réduire et éliminer en cultivant des facteurs positifs. Grâce à cela, il est possible d’actualiser la cessation.
« Dans le tantra, il est question de la dissolution des aspects grossiers de l'esprit, suivie des trois visions et de l'esprit de claire lumière qui se manifeste au moment de la mort. L'esprit de claire lumière peut également se révéler pendant le sommeil. À ce moment-là, vous pouvez voir les revers des perturbations mentales. Ce sont des états d'esprit déformés, mais elles sont également adventices et temporaires. En comprenant cela et en réalisant que la nature de l'esprit est claire lumière, nous avons le potentiel pour développer d'excellentes qualités.
« La cessation est possible car les souillures de l'esprit sont accidentelles et adventices. Lorsque vous verrez que l'on peut dépasser l’ignorance, vous comprendrez la déclaration du Bouddha qui nous exhorte à cultiver la voie. »
Sa Sainteté fit remarquer que toutes les traditions religieuses enseignaient l'importance de l'amour et de la compassion et qu’elles étaient utiles aux êtres humains. Dans le bouddhisme, expliqua-t-il, on ne se soucie pas uniquement de prier les Trois Joyaux, le Bouddha, le Dharma et le Sangha, mais on prend des mesures correctives pour transformer l'esprit. Le bouddhisme enseigne comment parachever la véritable cessation en surmontant les origines de la souffrance.
« Des textes de maîtres indiens comme Les stances fondamentales de la voie médiane de Nagarjouna traitent de la production dépendante. Lorsque vous comprenez que tout se manifeste de manière dépendante, non seulement cela vous permet d'éviter de vous attarder sur l'un ou l'autre des extrêmes de l'existence ou de la non-existence, mais cela révèle également que les choses n'existent pas telles qu'elles apparaissent. Lorsque vous cherchez l'identité des choses en elles-mêmes et par elles-mêmes, vous ne trouvez rien. Elles n'ont pas d'existence indépendante. En fait, elles existent en dépendance. Le disciple de Nagarjouna, Aryadéva a écrit :
Comme le sens tactile le corps.
L'ignorance est présente dans tout .
En surmontant l'ignorance, vous pourrez également
Maîtriser toutes perturbations mentales.
« En d'autres termes, lorsque vous comprenez la production dépendante, l'ignorance ne se manifeste pas.
« Dans sa troisième description des Quatre nobles vérités, dans laquelle il passe en revue les résultats, le Bouddha déclare : "On devrait connaître la souffrance, il n'y a pourtant rien à connaître ; on devrait en surmonter l'origine, il n'y a pourtant rien à surmonter, et ainsi de suite". Chacun d'entre nous apparaît comme quelqu'un qui possède un corps, une parole et un esprit, mais nous ne pouvons pas, même si nous essayons, identifier le je auquel ce corps, cette parole et cet esprit appartiennent.
« La vacuité est une chose à laquelle nous pouvons réfléchir, que nous pouvons méditer et dont nous pouvons acquérir une expérience. Nous avons ainsi la capacité de surmonter notre saisie de l'existence véritable. Le bouddhisme est fondé sur la logique et la raison. En nous appuyant sur des ouvrages tels que Les stances fondamentales de Nagarjouna et l’Entrée dans la voie médiane de Chandrakirti, nous pouvons développer notre confiance dans la vacuité et gravir les terres et les chemins mentionnés dans le mantra du Soutra du cœur.
« Après avoir étudié et cultivé la voie, nous voyons que nous sommes en mesure de nous l’approprier. Le Bouddha résume cela lorsqu'il prévient que la souffrance doit être connue, que son origine doit être surmontée, que la cessation doit être actualisée et la voie, cultivée.
« Étudiez l'enseignement du Bouddha. Réfléchissez-y. Développez votre conviction. Intégrez-le dans votre for intérieur. Étude, réflexion et méditation, voilà ce que je fais depuis mon enfance et je peux constater les changements qui se sont opérés en moi grâce à cela. Je fais appel à vous, mes frères et sœurs du Dharma, pour que vous suiviez la même méthode. »
En répondant aux questions du public virtuel de différentes parties de la Russie, Sa Sainteté suggéra que l’on puisse étudier les textes fondamentaux concernant la Conscience et Connaissance (Tib. lo rig) et les Signes et Raisonnement (Tib. ta rig) dans les milieux universitaires.
Concernant la prise de refuge, il mit l’accent sur le fait que nous disions les mots « Je prends refuge en le Bouddha, le Dharma et la sangha », mais nous devons nous demander ce que sont le Bouddha, le Dharma et la Sangha.
Une question sur le fait d’atteindre la bouddhéité en une seule vie poussa Sa Sainteté à expliquer que cela n'était pas enseigné dans le véhicule des perfections. Cela fait partie du tantra de l’union insurpassable et concerne un type très spécifique de pratiquants. Milarépa a subi de grandes épreuves et a fourni d’immenses efforts pour atteindre graduellement la réalisation et l'éveil en cette seule vie.
On demanda à Sa Sainteté comment concilier le conseil tiré des Huit versets de l'entraînement de l'esprit consistant à se considérer comme le plus bas de tous, avec la notion de fierté divine dans la pratique tantrique. Il répondit qu'une telle pratique tantrique débutait par la dissolution dans la vacuité. Votre corps et son apparence se dissolvent dans la vacuité. Ils disparaissent. Ensuite, il y a la dissolution des états d'esprit grossiers en états plus subtils, menant, après l'apparition des trois visions, à l'esprit de claire lumière. Pour finir, c'est cet esprit de claire lumière qui est la base de la manifestation de la déité vec laquelle vous cultivez la fierté divine.
Une autre personne voulut savoir, face à tant de distractions, comment empêcher l'esprit de s’éloigner du Dharma. La réponse de Sa Sainteté fut que la discipline de l'émancipation individuelle (Pratimoksha) impliquait de s'engager dans une vie sans domicile fixe. Cependant, on trouve également des pratiquants, comme Marpa Lotsawa, qui n'ont pas abandonné la vie laïque. L'essentiel est d'entraîner l'esprit à ne pas s'attacher aux choses.
Quant à ce qu'il faut faire pour aider ceux qui sont morts, Sa Sainteté reconnut qu'il existait une coutume consistant à mélanger les restes du défunt avec de l'argile pour fabriquer de petites images estampillées, les tsa-tsas, mais ce n'est pas strictement nécessaire, ajouta-t-il. Il recommanda de chanter 600 000 fois le mantra à six syllabes Om mani padmé houng, ce qu'il fit lui-même après le décès de sa mère.
Invité à préciser comment un pratiquant s’en remet à un maître extérieur tout en cultivant un maître intérieur, Sa Sainteté affirma visualiser les maîtres de la lignée de la conduite vaste et penser à la bodhicitta et aux pratiques d'amour et de compassion qui lui sont associées. En relation avec les maîtres de la lignée de la vision profonde, il réfléchit à la vacuité et à la production dépendante. Lorsqu'il s'agit de la grande lignée descendant de Shantidéva, il réfléchit à la voie vaste et en particulier à la pratique de l'égalisation et de l'échange de soi avec autrui. De tels maîtres extérieurs nous rappellent la bodhicitta et la vacuité. Des versets de Shantidéva, comme ceux qui suivent, peuvent servir un objectif similaire :
En procédant ainsi, de bonheur en bonheur, quelle personne réfléchie désespérerait, après être montée dans le chariot, l'esprit d'éveil, qui emporte avec lui toute lassitude et tout effort ? 7/30
Pour ceux qui ne parviennent pas à échanger leur propre bonheur avec la souffrance d’autrui, la bouddhéité est sans aucun doute impossible - comment pourrait-il même y avoir du bonheur dans l'existence cyclique ? 8/131
Invité à commenter le non-sectarisme, Sa Sainteté se demanda si le contexte était celui de toutes les traditions religieuses, en gardant à l'esprit le bon travail que les frères et sœurs chrétiens font dans le monde entier pour aider les autres, ou bien si le contexte était le bouddhisme en général et les traditions palie et sanskrite ou les différentes traditions du bouddhisme tibétain. En ce qui concerne ces dernières, il fit remarquer que l’on pouvait y réciter des prières différentes qui se résumaient pourtant toutes au même enseignement fondamental. Elles basent toutes leurs fondations sur la bodhicitta.
Le Bouddha enseigne que pour atteindre l'éveil, il est nécessaire de surmonter à la fois les perturbations mentales et les obscurcissements cognitifs. Il ne suffit pas de réciter des prières pour y parvenir mais de s'engager dans la pratique de la voie, ce qui suppose d'intégrer l'enseignement en votre for intérieur.
Les restrictions de rassemblement en groupe liées à la pandémie de Covid-19 ont fait que les étudiants n'ont pas pu se rencontrer ou rencontrer leurs professeurs. Cependant, Sa Sainteté souligna que, dans son propre cas, la plupart de ses professeurs étaient décédés, mais qu'aujourd'hui, il s’en remettait à des ouvrages tels que l’Entrée dans la voie médiane et son autocommentaire. Il encouragea les bouddhistes russes à étudier, à se réveiller et à préserver leurs propres traditions bouddhistes.
Enfin, une question fut posée sur la relation entre le fait de cultiver la bodhicitta et celui de protéger l'environnement. Sa Sainteté nota que nous parlions généralement d'aider tous les êtres dotés de conscience, mais qu’en termes pratiques, ceux que nous pouvions véritablement aider sont les êtres humains avec lesquels nous partageons la planète. Il convint qu’en considérant l'unité de l'humanité et le fait que le changement climatique nous affecte tous, il était crucial de prendre soin de l'environnement.
En guise de conclusion, Sa Sainteté guida le public à travers les étapes de la pratique du yoga de l'esprit d’éveil universel qui aboutit à la visualisation d'un vajra blanc à son cœur, représentant la sagesse comprenant la vacuité, debout sur un disque de lune blanc, représentant l'esprit d'éveil de la bodhicitta.
Dans ses remarques finales, Telo Tulku informa Sa Sainteté que la pandémie continuait d'affecter les communautés du monde entier et que la situation du Covid en Russie s'était aggravée dernièrement. Depuis un an et demi, on a perdu de nombreux amis à cause du Covid 19. Les bouddhistes de toute la Russie poursuivent la récitation du mantra de Tara Verte, mais ils font également la requête à Sa Sainteté de prier pour les défunts, pour les personnes infectées et les membres de leur famille. Il fit remarquer que de nombreuses personnes à travers la Russie étaient en difficulté émotionnelle, mentale et financière à cause de cette crise.
Telo Tulku assura à Sa Sainteté que les bouddhistes russes feraient de leur mieux pour lire l'Ornement des soutras du grand véhicule qu'il leur a présenté. Il exprima ses remerciements pour sa bonté et son attention. Il remercia également Guéshé Lhakdor pour avoir dirigé les sessions de révision après les enseignements et exprima sa gratitude envers ceux qui ont coopéré pour que ces sessions d'enseignement aient lieu au cours des 13 dernières années.
Sa Sainteté mit un terme à la session en récitant les versets de dédicace de la Prière d’aspiration royale :
J’apprends à suivre les exemples de tous
Comme celui du héros Manjoushri, omniscient,
Et celui de Samantabhadra,
Et dédie parfaitement toutes ces vertus.
Tous les Victorieux qui apparaissent dans les trois temps
Ont tenu pour suprême cette dédicace,
Aussi, moi-même, je dédie toutes mes racines vertueuses
À l’excellente conduite du bodhisattva.
Et des Paroles de vérité :
Ainsi, le protecteur Tchenrézi fit de vastes prières
Devant les bouddhas et les bodhisattvas
Pour embrasser pleinement le Pays des Neiges ;
Puissent les bienfaits de ces prières se manifester maintenant avec hâte.
Par la profonde interdépendance de la vacuité
Et des formes relatives,
Unie à la force de la grande compassion
Dans les Trois Joyaux et leurs Paroles de vérité,
Et par le pouvoir
De la loi infaillible des actions et de leurs fruits,
Puisse cette prière véridique être sans entrave
Et rapidement accomplie.