Thekchèn Tcheuling, Dharamsala, Inde – Ce matin, après que Sa Sainteté le Dalaï Lama est arrivé devant les caméras vidéo et a pris place, l'abbé coréen Ven. JinOk l'accueillit et réitéra la demande des disciples coréens pour qu'il leur explique le Soutra du Cœur. Le vénérable JinOk récita ensuite le soutra au rythme du moktak, ou cloche de bois, qu'il tenait dans ses mains.
Sa Sainteté annonca : « Aujourd'hui, nous commençons trois jours d'enseignements pour un groupe de frères et sœurs du Dharma de Corée. Je me sens très chanceux d'avoir cette opportunité. Il existe des soutras de la Perfection de la Sagesse en 100 000 lignes, 25 000 lignes et 8 000 lignes, ainsi que la version la plus courte qui est constituée de la lettre "A". Le Soutra du Cœur est appelé la Perfection de la Sagesse en 25 lignes et malgré sa relative brièveté, c'est un texte complet.
« Les enseignements de la Perfection de la Sagesse ne peuvent être suivis uniquement sur la base de la foi. C'est le genre d'enseignements que suivent les personnes d'intelligence vive sur la base de la raison. Le mot "sagesse" dans le nom de ces enseignements montre que pour les comprendre, il faut de l'intelligence et l'exercice de notre faculté d'analyse. Comme le Bouddha le conseilla à ses disciples : "Ô moines et érudits, comme l'or est testé en le brûlant, le coupant et le frottant, examinez mes paroles profondément et ne les acceptez qu'après-cela, et non seulement par respect pour moi".
« Ceux qui enseignèrent et étudièrent à l'université de Nalanda s'appuyèrent sur la raison et la logique.
« Les enseignements de la Perfection de la Sagesse comportent deux aspects – l'explication explicite de la vacuité et l'indication implicite de la façon de progresser sur le chemin. Ce second aspect, la progression sur le chemin, est représenté dans le Soutra du Cœur par le mantra de la fin. Comme il y a trois véhicules, celui des auditeurs, celui des bouddhas solitaires et celui des bodhisattvas, il y a quinze chemins, cinq pour chacun. La façon de progresser sur le chemin est expliquée dans l'Ornement des réalisations claires
« Vous devez écouter l'enseignement pour acquérir une compréhension préliminaire, puis y réfléchir et y penser pour approfondir votre compréhension, enfin méditer sur ce que vous avez compris pour en faire l'expérience.
« Le Soutra du Cœur présente la quadruple vacuité – La forme est vide, la vacuité est la forme, la vacuité n'est pas autre que la forme, la forme non plus n'est pas autre que la vacuité. La vacuité n'implique pas ici le néant comme la vacance de l'espace. Lorsque nous examinons comment les choses existent, nous constatons qu’elles n’apparaissent pas de la même façon. La vacuité n'est pas le néant ; elle indique que les choses dépendent d'autres facteurs. Elles n'ont pas d'existence indépendante et intrinsèque en elles-mêmes.
« Nous développons un attachement aux choses en leur attribuant une existence intrinsèque et objective – c'est ainsi qu'elles semblent exister. Nagarjouna est clair à ce sujet.
Ce qui est émerge en dépendance
Est expliqué comme étant vacuité.
Cela, étant une désignation dépendante,
Est en soi la voie du milieu.
Il n'est rien
Qui n'émerge pas de l'interdépendance.
Par conséquent, il n'est rien
Qui ne soit vacuité.
« Les émotions destructrices sont ancrées dans le fait que nous avons une vision erronée de la façon dont les choses existent, ce qui engendre toutes sortes de problèmes. Aryadéva, disciple de Nagarjouna, nous éclaire également sur ce point.
Tout comme le sens tactile le corps
L'ignorance est présente dans toutes .
En vainquant l'ignorance, vous allez aussi
Surmonter toutes les émotions perturbatrices.
« Cela signifie que, bien qu'il existe des moyens spécifiques pour contrer la colère et l'attachement, en parvenant à comprendre la vacuité et l'interdépendance, il est possible d'éradiquer toutes les émotions destructrices. Réfléchir pourquoi les choses n'existent pas objectivement aide à contrer l'attachement aux choses telles qu'elles apparaissent. »
Sa Sainteté souligna que l'Ornement des réalisations claires indique que la bodhicitta est l'esprit qui souhaite atteindre l’éveil pour le bien de tous les êtres. Il suggéra qu'il était très utile de la combiner avec une compréhension profonde de la vacuité qui est clairement expliquée dans Les stances fondamentales de la voie médiane de Nagarjouna.
En ce qui concerne le Soutra du Cœur, Sa Sainteté lut le titre en sanskrit et en tibétain et précisa sa signification en tant que "Cœur de la Perfection de la Sagesse". Le préambule indique où l'enseignement fut donné, par qui et qui en furent les destinataires. Après son éveil, la première série d'enseignements du Bouddha comprenait non seulement les Quatre nobles vérités, mais aussi la connaissance supérieure (Abhidharma) et la discipline monastique (Vinaya).
Les causes de souffrance mentionnées dans les Quatre nobles vérités sont le karma et les perturbations mentales. Pour les vaincre, il est nécessaire de surmonter l'ignorance.
Les enseignements du Bouddha commencèrent avec les Quatre nobles vérités, mais plus tard, au Pic des vautours à Rajgir, des disciples réceptifs l'écoutèrent enseigner la Perfection de la Sagesse. Les deux dernières nobles vérités, la véritable cessation et la véritable voie, ne peuvent être pleinement comprises que dans le contexte de la Perfection de la Sagesse, qui requiert une puissante intelligence.
Sa Sainteté souligna que seules les personnes ayant un karma pur auraient perçu la présence et l'investissement d'Avalokitéshvara dans le dialogue avec Sharipoutra. Le Bouddha, quant à lui, était entré dans une "absorption méditative sur la variété des phénomènes appelée l'apparition du profond". Le soutra indique qu'Avalokitéshvara vit que "même les cinq agrégats sont vides d'existence intrinsèque".
Le mot "même" n'est pas inclus dans la traduction chinoise du soutra, et donc probablement pas non plus dans la traduction coréenne. Il signifie que non seulement la personne désignée sur la base des cinq agrégats est dénuée d’existence intrinsèque, mais que les agrégats n'ont pas non plus d'existence intrinsèque. Bien que nous disions que les choses sont vides, nous nous accrochons aux cinq agrégats comme s'ils étaient intrinsèquement existants.
Sa Sainteté lut les deuxième et troisième paragraphes du soutra. Il nota qu'ici, la forme est le sujet sur la base duquel la vacuité est expliquée, car la plupart de nos jugements relatifs aux phénomènes extérieurs dépendent du sens de la vue.
Toutes les choses naissent en dépendance d'autres facteurs ; elles sont donc vides. La forme et la vacuité sont de même nature, mais sont conceptuellement différentes.
Sa Sainteté fit allusion au fait que Chandrakirti explique dans son Entrée dans la Voie médiane, que si les choses avaient une existence objective, il en résulterait quatre erreurs logiques. Ces erreurs sont les suivantes : l'absorption méditative de l'Arya sur la vacuité mettrait un terme aux phénomènes ; il serait erroné d'enseigner que les choses n'ont pas d'existence ultime ; l'existence conventionnelle des choses serait capable de résister à l'analyse ultime de la nature des choses, et il serait indéfendable d'affirmer que les choses sont vides en elles-mêmes.
« Ces quatre erreurs ou absurdités logiques sont également mentionnées dans l'Essence de l’éloquence vraie de Djé Rinpoché et dans la section spéciale sur la vue supérieure du Grand traité des étapes de la voie. »
Sa Sainteté mentionna que si la sagesse s'oppose à la notion d'un soi intrinsèquement existant, la grande compassion s'oppose à nos attitudes d'amour-propre extrême. Il fit particulièrement l'éloge de la pratique puissante de l'échange de soi avec les autres, mise en évidence dans le livre de Shantidéva l’Entrée dans les pratiques du bodhisattva. C'est un livre qu'il étudia et sur lequel il réfléchit attentivement depuis qu'il en reçut une explication de Khounou Lama Rinpoché. Il indiqua clairement que ce livre et l'Entrée dans la Voie médiane de Chandrakirti sont des livres sur lesquels il s'appuie personnellement. Il ajouta que les travaux de Dignaga et de Dharmakirti sur la logique et la raison furent essentiels pour développer une approche raisonnée du bouddhisme adaptée au XXIe siècle.
En répondant aux questions des moines et des moniales de trois temples coréens, Sa Sainteté concéda que la science et le bouddhisme avaient des objectifs différents : le bouddhisme s'intéresse à l'esprit et aux émotions, alors que la science est plus axée sur les choses matérielles. Cependant, depuis qu'elle a reconnu que notre état d'esprit a une incidence sur notre santé et notre bien-être, la science a commencé à s'intéresser aux moyens bouddhistes de cultiver la paix de l'esprit.
Sa Sainteté déclara que la racine du bonheur est l'amour et la compassion, dont nous faisons d'abord l'expérience par rapport à notre mère et qui n'a rien à voir avec la pratique religieuse. Il est convaincu que les bienfaits de l'amour et de la compassion peuvent être présentés d'un point de vue séculier. Après tout, nous sommes des animaux sociaux soucieux de protéger la communauté dans laquelle nous vivons. Rappeler l'unicité de l'humanité est un élément clé de l'approche raisonnée du bouddhisme dans la pratique de l'amour et de la compassion.
Interrogé sur la manière de résister aux sentiments négatifs, Sa Sainteté admit que c'est une chose difficile d'essayer de contrer l'attachement, la colère et la haine lorsqu'ils sont fortement manifestés. Cependant, ces sentiments et émotions sont plus difficiles à combattre lorsqu'ils sont en sommeil. Néanmoins, cultiver la bonté et l'esprit d'éveil de la bodhicitta peut nous aider à les réduire.
En ce qui concerne l'accumulation de la vertu et de la sagesse, Sa Sainteté établit une distinction entre les aspects physiques et les aspects de sagesse d'un bouddha. L'aspect physique du Bouddha, qui résulte de l'accumulation de vertu, est un moyen d'être utile aux autres. En outre, plus vous accumulez de mérites, plus vous comprenez la vacuité. Et plus votre compréhension de la vacuité s'améliorera, plus vous reconnaîtrez clairement que l'obtention de la bouddhéité est une possibilité réelle. Ainsi, le mérite et la sagesse se complètent l'un l'autre.
Sa Sainteté lut les quatrième, cinquième et sixième paragraphes du Soutra du Cœur avant d'annoncer qu'il s'arrêterait ici pour la journée et reprendrait son explication demain.