Thekchèn Tcheuling, Dharamsala, Inde – Ce matin, c’est par un Tashi delek dynamique que Sa Sainteté le Dalaï-Lama salua son auditoire de jeunes Tibétains. Il entama son discours en observant que la vue philosophique du bouddhisme est la production en dépendance et que sa conduite étant la non-violence, c’est-à-dire de ne pas nuire aux autres et, si possible, de leur offrir de l'aide. Ces deux axes peuvent contribuer à apporter la paix dans le monde.
« Tout ce qui existe est en dépendance d'autres facteurs. Si vous êtes heureux, l'atmosphère autour de vous sera joyeuse. Et si l'environnement dans lequel vous vivez est paisible, vous serez satisfait. Puisque nous ne voulons pas connaître la souffrance, il convient de ne pas faire de mal aux autres. La vue philosophique et ce code de conduite que j'ai mentionnés sont en corrélation l’un par rapport à l’autre. Je vous recommande de garder à l'esprit cette vue et cette conduite bouddhistes.
« Comme je le dis souvent, pour réaliser la paix dans le monde, nous avons besoin d'une paix de l'esprit en notre propre intérieur. Ce qui perturbe notre paix de l'esprit, ce sont nos émotions perturbatrices. Ceux qui se préoccupent principalement du développement matériel ne pensent au bonheur et au bien-être qu'en termes de santé physique. Pourtant notre santé mentale est, elle aussi, de la plus haute importance. L’ancienne tradition indienne a développé une riche approche du fonctionnement de notre esprit et de nos émotions et nous pouvons faire appel à cette connaissance encore aujourd'hui.
« Après avoir atteint l'éveil, le Bouddha déclara :
Profond et paisible, libre de toute complexité, d'une luminosité non composée ;
J'ai trouvé un Dharma semblable au nectar.
Pourtant, si je devais l’enseigner, personne ne comprendrait,
Aussi, maintiendrai-je le silence ici dans la forêt.
« Nous pouvons comprendre les mots profond et paisible comme faisant référence au premier cycle d’enseignements du Bouddha, dans lequel il révéla les Quatre nobles vérités. Libre de toute complexité indique la perfection de la sagesse du deuxième cycle. La luminosité non composée fait référence au contenu du troisième cycle d'enseignements du Bouddha, en particulier la nature de bouddha et le Tathagatagarbha Soutra.
« Au cours du deuxième cycle, il traita de la claire lumière objective, qui fait référence à la vacuité, tandis qu'au troisième cycle, il fit allusion à la claire lumière subjective, l'esprit de claire lumière. L'enseignement des Djonangpas au sujet de la "vacuité d’autre" et les références tantriques aux apparences blanche, rouge et noire sont en lien avec cela. »
Sa Sainteté traita du corps de vérité naturel et du corps de vérité de sagesse du Bouddha auxquels lui seul peut accéder, mais par lesquels se manifestent le corps de félicité absolue et le corps d'émanation qui sont destinés à être bénéfiques aux êtres. Il mentionna ensuite les vers de salutation du Compendium de la connaissance valide de Dignaga :
Je me prosterne devant celui qui est devenu valide
Qui aspirait à travailler au profit des êtres errants
Le Maître, le Sougata, le Protecteur.
Il fit remarquer que nous pouvons saisir la fiabilité des enseignements du Bouddha en examinant la qualité de ce qu'il a transmis.
Il ajouta que dans son ouvrage Destiny Fulfilled , Djé Tsongkhapa a mentionné que certaines personnes au Tibet considéraient les textes sur la logique et l'épistémologie comme n’ayant aucun rapport avec l'atteinte de l'éveil. Toutefois, Manjoushri encouragea Dignaga à poursuivre sa composition car elle serait très utile à l'avenir. Lorsque Shantarakshita vint au Tibet, il insista sur l'importance d'utiliser la logique et la raison.
Djé Tsongkhapa poursuivit en précisant que Dharmakirti, dans son Commentaire sur la cognition valide, expliquait dans l’ordre séquentiel et inversé, les vers de salutation du Compendium de la connaissance valide de Dignaga citées ci-dessus. Ils confirment que nous pouvons comprendre par l’examen de son enseignement que le Bouddha était un enseignant fiable. Sa Sainteté souligna que de toutes les traditions bouddhistes, seul le bouddhisme tibétain faisait rigoureusement usage de la raison et de la logique.
Sa Sainteté énonça le verset de L'entrée dans la Voie médiane de Chandrakirti et ses propres références dans son autocommentaire, reprochant à Vasoubandhou, Dignaga et Dharmapala d'avoir mal compris l'intention de Nagarjouna. N’en ayant pas saisi le sens réel, ils ont été inquiétés par ses paroles et ont rejeté son enseignement qui transcende le monde.
Terrifiés par la couleur aveuglante du vaste océan de sagesse de Nagarjouna,
Certains ont fui et gardé leurs distances par rapport à cette merveilleuse tradition.
Pourtant ces strophes, humidifiées de rosée, se sont ouvertes comme les bourgeons des nénuphars.
Ainsi, les espoirs de Chandrakirti se sont maintenant réalisés.
« Dans le passé, Séra, Drépoung et Gandèn sont devenus les principaux centres d'études au Tibet où on utilisait la raison et la logique, poursuivit Sa Sainteté. Ces institutions furent rétablies dans le sud de l'Inde et la tradition se poursuit. Je suis heureux de dire que les moines et les moniales qui s'y trouvent étudient également la science.
« Il existe également, dans la région himalayenne, une organisation de personnes concernées qui se sont engagées à transformer en centres d'études les monastères pour moines et moniales dont elles ont la charge.
« Lorsque Shantarakshita a établi le bouddhisme au Tibet, il a mis l’accent sur l'importance de la logique et de la vue de la voie du milieu, mais il semble que beaucoup de Tibétains à l'époque étaient plus intéressés par les tantras. Néanmoins, il nous fournit un modèle qui a façonné notre tradition et pour lequel nous devrions faire preuve de reconnaissance.
« Au 20e siècle, le Mahatma Gandhi fit connaître l'idée de non-violence dans le monde entier. Au cours du siècle présent, il serait bon qu’en Inde, nous puissions faire revivre l’ancien savoir indien sur le fonctionnement de l'esprit et des émotions, et de faire en sorte également qu’il soit mieux connu à travers le monde. »
Sa Sainteté reprit le texte où il s'était arrêté la veille. Les versets 9 et 10 font l'éloge de la production en dépendance comme étant le cœur de l'enseignement, la manière incomparable de confirmer la vacuité. Il mentionna une image évoquée par Djamyang Shéba, Ngawang Tsondru, avec deux lions reliés ou croisés au niveau du cou, représentant la voie du milieu (madhyamaka) et les traditions de la Connaissance valide (Pramana). On le trouve dans son Grand traité des principes, où il est fait référence à des paires d’érudits – Shantarakshita et Kamalashila, Vimouktiséna et Haribhadra, Bouddhajnana et Djétari, etc., représentant ces traditions.
Djé Tsongkhapa a d'abord étudié avec Tcheudjé Dhondoup Rinchèn en Amdo. Une fois arrivé au Tibet central, il étudia la voie du milieu avec Rèndawa, avec tant de zèle qu'on dit de lui : « Où que vous alliez, vous parlez de la voie du milieu. Où que vous soyez assis, vous pensez à la voie du milieu. » Sa Sainteté fit remarquer que Djé Rinpoché était scrupuleux dans sa façon d’écouter, de réfléchir et de méditer et qu'il intégrait ce qu'il avait réalisé.
Sa Sainteté cita l'observation d'Aryadéva selon laquelle l'ignorance de la réalité imprègne toutes les perturbations mentales tout comme le sens tactile imprègne le corps. En détruisant l'ignorance, on élimine les perturbations mentales. Il cita ensuite un verset de l’Entrée dans la Voie médiane de Chandrakirti :
Percevant avec sagesse toutes les perturbations et fautes
Découlant du sentiment d'identité qui saisit l’ensemble périssable,
Et reconnaissant que le soi est au centre de ce sentiment d'identité,
Le yogi s'engage dans la réfutation du soi.
Sa Sainteté fit une lecture suivie des versets, en commentant certains passages. Il compara les lignes du verset 19 :
C'est par la raison de l'origine en dépendance
Que l'on ne penche pas vers un extrême ;
Avec des lignes tirées des Trois principaux aspects de la voie :
Les apparences réfutent l'extrême de l'existence,
La vacuité réfute l'extrême de l’inexistence.
Il s'arrêta au verset 30, qui stipule :
Par ce chemin même de la production en dépendance, des convictions naissent en moi aussi.
Aujourd'hui, ce sont des étudiants du foyer du collège TCV de Bangalore et de l'école TCV de Chauntra qui posèrent des questions à Sa Sainteté. En y répondant, il confirma que lorsque la compétition se traduit par des bénéfices pour tous les partis concernés, plutôt que par la victoire de l'un et la défaite des autres, on peut alors la considérer comme saine.
Il suggéra qu'en cas de critique, il est bon de se demander si elle est justifiée. Si c'est votre paresse qui est contestée, c'est là-dessus qu’il convient de faire un effort en étudiant plus intensément. Si elle n'est pas justifiée, il est préférable d’éprouver de la compassion pour la personne émettant ces critiques. Il dit à un autre étudiant qui voulait savoir comment éviter de se sentir démoralisé que la pratique de bodhichitta consiste à aider les autres. Cela peut signifier résister à ceux qui font obstacle à vos efforts pour servir autrui. Il est important d'avoir un sentiment de confiance et de fierté avec la pensée : « Je peux faire ceci, je peux apprendre comment faire cela ». Il ajouta que les Tibétains en général ont toutes les raisons d'être fiers de la tradition de Nalanda qui a été préservée au Tibet. De plus, dit-il, il n'y a pas d'autres réfugiés comme les Tibétains, qui ont non seulement préservé leur culture, mais qui ont trouvé des moyens de l'utiliser pour aider autrui.
Sollicité pour définir le bonheur, Sa Sainteté fit observer qu'on peut le comprendre par rapport à des objets physiques et par rapport à l'esprit. Dans le monde moderne, les gens en quête de satisfaction ont tendance à se tourner vers des objets physiques, tout en accordant peu d'attention aux plaisirs de l'esprit. Les ermites là-haut sur les collines, en revanche, sont confrontés à un certain degré de difficulté physique, mais comme ils ont l'esprit en paix, ils sont satisfaits. Il cita des versets de l'Entrée dans la conduite des bodhisattvas :
Que dire de plus ? Observe cette distinction : entre les idiots qui aspirent à leur propre avantage et le sage qui agit pour le bien d’autrui.
Pour ceux qui ne parviennent pas à faire l’échange de leur propre bonheur avec la souffrance d’autrui, la bouddhéité est évidemment impossible – comment pourrait-il même y avoir du bonheur dans l’existence cyclique ?
« En tant qu'êtres humains, nous sommes des animaux sociaux, ajouta Sa Sainteté. Si nous sommes affectueux et compatissants à l’égard d’autrui, nous serons heureux et nous réussirons. Nous sommes peut-être des réfugiés, mais nous sommes encore capables de prier : "Puissent tous les êtres être heureux et puissent-ils être libérés de la souffrance".
« Si vous pensez à votre prochaine vie ou à la réalisation de l'éveil lorsque vous êtes gentil avec les autres, cela relève de l'éthique religieuse. Mais si, lorsque vous êtes utile et au service des autres, vous pensez principalement à ce que tout le monde soit heureux ici et maintenant, cela relève de l'éthique laïque. Parce que les champs sont les espaces où nous cultivons nos récoltes, nous en prenons soin. Et parce que nous dépendons des gens qui nous entourent, nous devons également en prendre soin. Souvenez-vous de la conduite compatissante et non violente dans le contexte de tout ce qui a été produit en dépendance. »
« Merci. À demain. »