Thekchèn Tcheuling, Dharamsala, Inde - Le temps était chaud et humide lorsque Sa Sainteté le Dalaï-Lama se rendit à pied au Tsouglagkhang, le temple tibétain principal, depuis sa résidence ce matin. Environ 8 000 membres du public, dont 400 élèves du Village d'enfants tibétains (TCV) en classes 9, 10, 11 et 12 et 800 étudiants tibétains, remplissaient le temple, l’espace autour et la cour en contrebas.
Faisant allusion à une habitude qu’il a prise en 2007, Sa Sainteté déclara à l'auditoire que son principal objectif aujourd'hui était d'enseigner aux jeunes Tibétains ; le texte qu'il allait parcourir était les 37 pratiques des bodhisattvas de Thokmey Sangpo.
« Les étudiants parmi vous sont peut-être nés en Inde, mais vous êtes tibétains par ascendance. Ceux d'entre nous qui sont tibétains le resteront jusqu'à notre mort. Il existe des mythes sur les origines du peuple tibétain auxquels je n'accorde pas beaucoup d'attention. En revanche, il y a des preuves archéologiques de la présence de gens au Tibet depuis 30 à 40 000 ans. Néanmoins, ce qui nous distingue, c'est notre religion et notre culture. Au VIIème siècle, le roi Songtsèn Gampo donna des instructions pour créer un alphabet pour écrire le tibétain. Il était basé sur l'alphabet indien avec voyelles et consonnes. Ainsi, bien que la langue parlée tibétaine soit différente des langues chinoise et indienne, le modèle pour notre écriture était indien.
« Au VIIIème siècle, Shantarakshita fut invité au Tibet par le roi Trisong Detsèn. Puisque nous avions notre propre langue et notre propre écriture, il nous conseilla d'étudier le bouddhisme en tibétain plutôt qu’en sanskrit. On dit qu'en dépit de son âge avancé, Shantarakshita lui-même apprit un peu de tibétain. Il nous a recommandé de traduire en tibétain autant de littérature bouddhiste indienne que possible. Le résultat est que notre collection du Kangyour, qui contient les traductions des paroles du Bouddha, se compose d'environ 100 volumes, tandis que la collection du Tèngyour, qui comprend les traités indiens ultérieurs, se compose de 220 volumes. Chaque texte commence par une marque d'authenticité : " le titre de cette œuvre en langue indienne est… ; le titre en tibétain est... "
« Le bouddhisme s'est levé comme le soleil sur l'Asie, apportant l'éveil à beaucoup de personnes. En Occident, le christianisme a prévalu, au Moyen-Orient, l'islam, tandis qu'en Inde se sont développés diverses écoles hindoues, le jaïnisme et le bouddhisme. Ce qui distingue en outre l'Inde, c'est que les adeptes de toutes les grandes religions du monde y vivent côte à côte. Un exemple de cette atmosphère est la communauté de Parsee, les zoroastriens originaires de Perse qui, bien que peu nombreux, vivent sans crainte parmi des millions d'hindous et de musulmans à Bombay. Les traditions religieuses indiennes se respectent mutuellement. »
Sa Sainteté parla de Taxila, un ancien centre d'études indien qui a précédé l'université de Nalanda. Nalanda a produit beaucoup de grands maîtres, dont on peut juger la grandeur grâce à leurs écrits. Leurs œuvres, composées à l'origine en sanskrit, sont aujourd'hui disponibles pour nous en traduction tibétaine. Sa Sainteté fit remarquer que dans les pays d'Asie du Sud-Est, la littérature bouddhiste est conservée en pali. Il expliqua qu'il se réfère à aux traditions sanskrite et palie, plutôt qu'aux véhicules petit et grand (hinayana et mahayana).
Sa Sainteté observa que le premier tour de roue des enseignements du Bouddha, y compris les Quatre nobles vérités, un compte-rendu sommaire du non-soi, de la concentration en un point, etc., fut d'abord préservé en pali. Le deuxième tour portant sur les enseignements de la Perfection de la sagesse a été donné à un groupe choisi, d’une grande intelligence, sur le Pic du Vautour. Il fit remarquer que l'édition étendue de la Perfection de la sagesse compte 12 volumes et l'édition intermédiaire trois ; l'édition courte en compte un seul, avec en outre plusieurs textes plus brefs.
Le Soutra du cœur explique la vacuité d'existence inhérente en déclarant : " la forme est vide, la vacuité est forme ". Cette phrase n'implique pas un néant, mais plutôt qu’il est possible de voir la forme, ou un objet matériel, bien que son identité, quand on la recherche, ne puisse pas être trouvée. Les choses n'existent pas telles qu'elles apparaissent. La physique quantique dit également que rien n'existe objectivement. Parce que la forme apparaît en fonction de nombreux facteurs, elle n'a pas d'existence inhérente.
Sa Sainteté fit également référence au troisième tour de roue des enseignements du Bouddha, à Vaishali entre autres, lorsqu'il a enseigné le Soutra du dévoilement de la pensée. Après avoir enseigné la claire lumière objective dans les soutras de la Perfection de la sagesse, il a clarifié dans ce troisième tour la claire lumière subjective : la conscience la plus subtile.
« Quand vous méditez, vous utilisez la sixième conscience, la conscience mentale, pas les consciences sensorielles. En Occident, on ne parle pas beaucoup de la conscience mentale. Il y a une tendance à expliquer le fonctionnement du cerveau en rapport avec les perceptions sensorielles. L'esprit ne peut pas être expliqué uniquement sur la base du cerveau. Cependant, l'Inde ancienne avait une bonne compréhension du fonctionnement de l'esprit et des émotions. Elle avait une connaissance de l'esprit subtil et de sa qualité lumineuse, et reconnaissait que les émotions destructrices naissent dans un état d'esprit grossier.
« Les maîtres de Nalanda se sont concentrés sur la perfection de la sagesse, l'explorant en détail. Nagarjouna, par exemple, a donné des explications non seulement en relation avec les écritures, mais aussi en termes de logique et de raison. Le Bouddha lui-même conseilla à ses disciples de ne pas accepter ce qu'il enseignait à première vue, mais de l'examiner, comme un orfèvre teste l'or, et de ne l'accepter qu'après une enquête rigoureuse qui montre que son enseignement est logique et bénéfique.
« Dans la tradition tibétaine, nous étudions en mémorisant le " texte racine ", en parcourant mot à mot les explications qui s’y rapportent et en débattant entre nous sur ce que nous avons compris. Les nombreux écrits de Dignaga et Dharmakirti sur la logique et l'épistémologie ont été traduits en tibétain. Plus tard, des érudits tibétains comme Tchapa Tcheukyi Sengué (1109-1169), l'abbé de Sangphou, et Sakya Pandita ont développé ces thèmes. La logique et la raison sont vraiment utiles, c’est une caractéristique unique dont je voulais que vous, jeunes Tibétains, ayez conscience. C'est quelque chose dont nous pouvons être fiers. »
Sa Sainteté commença à lire les 37 pratiques des bodhisattvas, faisant remarquer que le texte commence par un hommage à Lokeshvara, l'incarnation de la compassion, et qu’il suggère ensuite, dans les troisième et quatrième lignes, que les choses n'existent pas comme elles apparaissent. Il expliqua le mot tibétain pour bouddha, qui implique l’élimination de tous les défauts et la vision de toutes choses telles qu’elles sont. Djé Tsongkhapa parle de « ne pas être captivé par l'une ou l'autre vue extrême ».
Les perturbations mentales n'ont aucune base solide, elles surviennent à la suite d'une exagération. La compassion et la patience, l’inverse de la colère, sont soutenues par la raison.
Les versets conseillent : abandonnez votre patrie, cultivez l'isolement, abandonnez les mauvais amis et vos qualités grandiront. Prenez refuge dans les Trois Joyaux ; le refuge principal est le Dharma, l'expérience de la véritable cessation et le chemin qui y mène. Le Bouddha est notre enseignant et la Sangha représente nos compagnons dans la mise en pratique de ses enseignements. Les bouddhas ne lavent pas avec de l'eau les mauvaises actions, ils n'enlèvent pas les souffrances des êtres avec leurs mains et ne transplantent pas leur propre réalisation en autrui. C'est en enseignant la vérité de l’ainsité qu'ils libèrent (les êtres).
Le verset 8 conseille de « ne jamais faire le mal », comme le dit Aryadéva dans ses 400 stances :
D'abord, évitez le non-vertueux,
Ensuite, évitez le soi ;
Enfin, évitez les vues de tous types.
Celui qui connaît cela est sage.
La libération consiste à se libérer des émotions perturbatrices.
Ensuite, pensez à tous les êtres et développez l'intention altruiste d'atteindre l'éveil pour leur bien – « par conséquent, échangez votre propre bonheur avec la souffrance d’autrui ». Cette pratique est développée par Nagarjouna dans sa Précieuse guirlande et par Shantidéva dans l’Entrée dans les pratiques du bodhisattva. Elle est réitérée quelques versets plus loin : « sans découragement, assumez les méfaits et la douleur de tous les êtres vivants ».
Les choses n'existent pas telles qu'elles apparaissent. Le texte dit : « quand vous rencontrez des objets attrayants, même s'ils semblent beaux comme un arc-en-ciel en été, ne les considérez pas comme réels ». La physique quantique nous dit que tant qu'il y a un observateur, il y a un objet observé. L'école de l'esprit seul dit que les choses n'ont pas de réalité extérieure, tandis que l'école de la voie du milieu déclare : « il n’y a absolument rien qui n'ait d'existence objective ».
Le texte termine par : « Détruisez immédiatement les émotions perturbatrices comme l'attachement, dès qu'elles se manifestent ; en résumé, quoi que vous fassiez, demandez-vous : " Dans quel état est mon esprit ? " ; dédiez la vertu de ces efforts pour l'éveil – telle est la pratique des bodhisattvas ».
Dans ses propres remarques finales, Sa Sainteté recommanda d’introduire le bouddhisme sur la base des deux vérités, la vérité conventionnelle et la vérité ultime. Les Quatre nobles vérités peuvent être expliquées plus clairement sur cette base.
« Comme je l'ai dit plus tôt, ajouta Sa Sainteté, la tradition de Nalanda a brillé comme le soleil. Ceux d'entre nous qui vivent en liberté ont la possibilité de maintenir vivante cette vaste tradition du bouddhisme : faites de votre mieux. »
Tout en marchant lentement dans le couloir du temple et en descendant les marches vers la cour, Sa Sainteté s'arrêta fréquemment pour saluer les nombreux individus, jeunes et vieux, qui attendaient, les mains jointes avec respect, le sourire aux lèvres, pour attirer son regard. Puis il prit la voiture pour retourner à sa résidence proche.