Pèlerinage à Leh Jokhang
Leh, Ladakh, J&K, Inde, 4 juillet 2018
Après son arrivée au Ladakh hier, Sa Sainteté le Dalaï-Lama a commencé la journée d’aujourd’hui par un pèlerinage au Jokhang de Leh. Les gens se sont alignés en souriant dans les rues pour l’accueillir alors qu’il approchait de la ville de Leh. Il a été reçu à son arrivée au Jokhang par Tsewang Thinles, président de l’Association bouddhiste du Ladakh et son personnel. Des moines jouant des trompettes ont escorté Sa Sainteté jusqu’au temple, tandis que des musiciens Ladakhi traditionnels jouaient dans la cour du temple.
Une fois à l’intérieur du temple, qui était rempli de gens du pays, de moines et de nonnes, ainsi que de laïcs et de femmes, Sa Sainteté a rendu hommage aux statues de Manjoushri, d’Avalokiteshvara à mille bras, du Bouddha et de Gourou Padmasambhava. Il a salué chaleureusement Ganden Trisur, Rizong Rinpoché, Thiksey Rinpoché et d’autres lamas avant de prendre place face à la statue du Bouddha qui ressemble au Jowo de Lhassa.
Dans son discours d’introduction, Tsewang Thinles a salué Sa Sainteté et d’autres éminents lamas. Il a rapporté que, prenant à cœur les conseils de Sa Sainteté, l’Association Bouddhiste Ladakh a décidé de transformer le Jokhang en un centre d’apprentissage. Ils offrent aux gens l’occasion d’améliorer leur maîtrise du tibétain littéraire et d’étudier les enseignements bouddhistes dans le but de devenir des bouddhistes du 21e siècle - des gens dont la foi est basée sur une bonne compréhension.
Sa Sainteté a commencé ses remarques par les versets de clôture et d’ouverture de l’hommage de la ‹ Sagesse Fondamentale de la Voie du Milieu › de Nagarjouna :
Je me prosterne devant Gautama.
Qui, par compassion,
A enseigné le saint Dharma,
Qui permet d’abandonner toutes les vues.
Je me prosterne devant le parfait Bouddha,
Le meilleur de tous les enseignants, qui a enseigné que
La survenue en dépendance est
Sans cessation, sans émergence ;
Sans annihilation ni permanence ;
Sans allée ni venue ;
Ni distinct ni identique ;
Et paisible - sans fabrications.
« Il y a eu de nombreux enseignants fondateurs de traditions religieuses, Mahavira, Jésus-Christ et Mohammed par exemple, qui ont transmis un message commun d’amour, de compassion et de tolérance. C’est sur cette base que l’Inde respecte toutes les traditions religieuses. L’harmonie interreligieuse y est forte depuis plus de 3000 ans. Et pourtant, malheureusement, ailleurs aujourd’hui, nous voyons des gens se battre et s’entretuer au nom de la religion.
« En termes d’opinions philosophiques, le Bouddha a enseigné comment surmonter l’ignorance ; comment éliminer les idées fausses que nous avons sur la réalité. En expliquant la survenue en dépendance, il a montré que les choses existent en fonction d’autres facteurs. Ce point de vue unique est aujourd’hui admiré même par les scientifiques. »
Sa Sainteté a rappelé à ses auditeurs que le bouddhisme est constitué des traditions Pali et Sanskrit et que la tradition Pali se concentre sur l’explication des Quatre Nobles Vérités, le Vinaya et ainsi de suite. Pendant ce temps, le noyau de la tradition sanskrite est la Perfection des de la Sagesse qui a été enseignée sur le Pic du Vautour et qui met l’accent sur le vide de l’existence intrinsèque. En développant ces enseignements, Nagarjouna a clarifié la survenue en dépendance, déclarant que puisqu’il n’y a rien qui n’est pas dépendant, il n’y a rien qui n’est pas dénué d’existence intrinsèque.
« Je me souviens quand j’étais jeune à Lhassa, j’ai vu des gens en choubas (robes traditionnelles du Tibet) blanches portant des bottes qui laissaient les orteils apparaitre - ces gens n’étaient manifestement pas fortunés. Ils venaient des régions himalayennes et les Tibétains avaient tendance à les regarder de haut. Cependant, trois de mes grands maîtres partageaient leurs origines.
« Nous avons une chance incroyable d’avoir une riche collection de littérature, le Kangyour et le Tengyour. En tant que disciple du Bouddha, un moine, plutôt que de me contenter de réciter les versets du refuge, c’est une réflexion critique sur des œuvres telles que les « Cinq traités de Maitréya « et les « Six traités sur la raison « de Nagarjouna qui a eu un impact transformateur sur mon esprit. Lorsque nous évaluons ces textes de manière critique, nous utilisons une approche logique qui dérive de Dignaga et Dharmakirti, ce qui est un moyen profond de développer sa sagesse.
« Le Bouddha lui-même conseillait à ses disciples de ne pas prendre ce qu’il enseignait comme argent comptant, mais de l’examiner, un peu comme un orfèvre teste l’or, et de ne l’accepter qu’après avoir conclu grâce à une rigoureuse enquête que c’est logique et bénéfique. C’est donc très bien que vous ayez annoncé votre intention de faire de ce Jokhang et d’autres temples et monastères des centres d’apprentissage ».
Le temple était rempli d’applaudissements.
« La Tradition Nalanda n’est aujourd’hui conservée que chez les bouddhistes tibétains et himalayens. Aujourd’hui, je parle de faire revivre la sagesse indienne ancestrale en Inde. Le directeur du collège gouvernemental de Dharamsala m’a parlé de prendre l’initiative de le faire d’une manière académique. L’autre jour, lors du lancement d’un « Happiness Curriculum « par le gouvernement de Delhi, j’ai parlé de la nécessité de combiner l’éducation moderne avec les connaissances et la compréhension dérivées de l’Inde ancienne. J’ai également eu l’occasion de discuter avec les abbés de Drépoung et de Séra de la façon dont les chercheurs de nos grandes universités monastiques peuvent partager ce savoir avec les éducateurs indiens. En mars, j’ai pu discuter de cette option avec 150 vice-chanceliers d’universités indiennes. Vous aussi, les Ladakhis, vous pouvez participer.
« Nous suivons tous le Mahayana, la tradition sanskrite. Le contenu explicite des enseignements de la Perfection de la Sagesse a été expliqué par Nagarjouna dans ses ‹ Six traités sur la raison ›. Le contenu implicite a été expliqué dans ‹ Ornement pour une réalisation claire › de Maitréya. Ce que cela implique, c’est de cultiver la compréhension de la vacuité et de l’esprit altruiste d’Éveil de bodhichitta ».
Sa Sainteté a expliqué que, tout comme nous formons les enfants à être en bonne forme physique, en leur enseignant l’exercice physique, l’alimentation et l’hygiène, nous devons aussi leur apprendre à être en bonne forme mentale en formant l’esprit et en leur apprenant à s’attaquer aux émotions destructrices. Il a recommandé que nous essayions tous de comprendre ce qui perturbe notre paix de l’esprit et ce qui concourt au calme, mais a souligné que cela peut être appris non pas dans un contexte religieux mais dans un contexte académique. Il a en outre suggéré qu’une fois que l’Inde répondra à cette initiative, la Chine s’y intéressera également. Une fois que cela se produira, 2,5 milliards de personnes pourraient être impliquées, ce qui sera bénéfique au monde entier. Ceci, a-t-il déclaré, utiliserait le savoir préservé dans la tradition de Nalanda d’une manière séculière pour le bénéfice universel.
« Le monde d’aujourd’hui est confronté à une grave crise émotionnelle. Les gens pensent que les émotions destructrices sont une partie naturelle de l’esprit. Les conseils de la psychologie indienne ancienne peuvent nous montrer qu’ils ne le sont pas et que nous pouvons les aborder et les éliminer. Nous devons nous demander comment trouver le bonheur - ce n’est pas grâce à l’argent et au pouvoir. Comme je l’ai déjà mentionné, nous devons découvrir non seulement ce qui trouble notre esprit, mais aussi quels sont les antidotes à ces facteurs.
« En tant que bouddhistes, nous prions régulièrement pour atteindre l’Éveil pour le bien de tous les êtres sensibles. Cependant, le fait est que ce sont les êtres humains sur cette terre avec lesquels nous pouvons communiquer et partager cette compréhension. Elle implique la logique et la raison. Les taux de suicide augmentent dans un pays très développé comme le Japon. Même ici au Ladakh, j’entends dire que le nombre de suicides augmente, peut-être à cause de la jalousie et de la compétitivité. Il faut faire quelque chose. Nous devons faire appel à la psychologie indienne ancienne d’une manière séculière, en nous appuyant sur notre bon sens, notre expérience commune et nos découvertes scientifiques. »
S’arrêtant pour interagir gaiement avec les membres de la foule, les personnes âgées et les jeunes enfants, Sa Sainteté s’est frayé un chemin hors du temple vers sa voiture. Il est ensuite retourné de Leh au Shewatsel Phodrang pour le déjeuner.