Thekchèn Tcheuling, Dharamsala, Inde,
Aujourd’hui, 140 élèves indiens avec leurs professeurs, venus de quatorze collèges en Inde et à l’étranger, rencontrèrent Sa Sainteté le Dalaï-Lama. Ils assistaient tous à une conférence Round Square à la Him Academy Public School de Hamirpur.
Une fois que Sa Sainteté entra dans la salle et a salué tout le monde d’un « bonjour », une étudiante lui présenta le groupe avec enthousiasme. Elle lui dit que la Him Academy s’enorgueillissait d’accueillir la conférence Round Square et que le fait de pouvoir y rencontrer Sa Sainteté rendait l’événement encore plus spécial.
Le coordinateur de la conférence remercia Sa Sainteté d’être venu. Il expliqua que Round Square était un réseau international de 200 écoles aux vues similaires, implantées dans 50 pays, et appliquant les principes de Kurt Hahn, le fondateur de la Gordonstoun School en Ecosse. Les écoles Round Square se doivent de respecter six engagements communs : la compréhension internationale, la démocratie, la gestion de l’environnement, l’aventure, le leadership et le service. Ces domaines sont sous-tendus par d’autres qualités comme la compassion, la tolérance et l’autodiscipline. Il précisa que le thème de la présente conférence était la coexistence.
« Ces jours-ci, je me présente comme un messager de la pensée indienne ancienne », a commencé Sa Sainteté. « Physiquement, je suis tibétain, mais depuis mon enfance, j’ai étudié la philosophie, la logique et la psychologie dans la tradition de Nalanda. Les grands savants de l’Université de Nalanda sont nos professeurs et leurs écrits sont nos manuels. Donc, de ce point de vue, je suis plus indien que beaucoup d’entre vous qui suivent un système d’éducation mis en place par les Britanniques. Je crois que les anciennes connaissances indiennes sur le fonctionnement de l’esprit et les émotions demeurent pertinentes dans le monde troublé qui est le nôtre aujourd’hui.
« Nous voulons tous le bonheur plutôt que la souffrance, mais nous sommes confrontés à un tas de problèmes, comme le fossé entre riches et pauvres que nous avons créé.
« Les scientifiques apportent des preuves que la nature humaine fondamentale est compatissante. Il est également exact de dire que physiquement, mentalement et émotionnellement nous sommes les mêmes. Nos mères nous ont mis au monde et nous ont traités avec beaucoup d’affection. Pourtant, à mesure que nous grandissons, nous négligeons les valeurs humaines fondamentales et sommes de plus en plus préoccupés par l’argent, le pouvoir et la réputation. Nous cherchons à détruire nos ennemis si nous le pouvons. Même la religion, qui est censée nous guider, peut devenir une source de division.
« Mais, regardez l’Inde. Toutes les grandes religions du monde s’y épanouissent. Diverses traditions de l’hindouisme se sont développées depuis les premiers Samkhyas, puis il y a le jaïnisme et le bouddhisme, toutes des traditions indigènes. Plus tard, le judaïsme, le christianisme, l’islam et le zoroastrisme sont venus de l’étranger. Toutes ces traditions vivent ici en harmonie, ce qui est merveilleux.
« Depuis plus de 3000 ans, l’esprit et les émotions font l’objet d’étude en Inde. Des techniques pour calmer et concentrer l’esprit ainsi que pour développer la vision profonde (shamatha et vipashyana) ont été utilisées pour aborder les émotions. Le Bouddha a vu le jour dans de telles traditions. Partout où je vais, je parle de tranquillité d’esprit. Pour y parvenir, la prière peut être utile, mais l’analyse est beaucoup plus efficace. « Ce corps a été nourri avec des lentilles et des galettes de pain indiennes, tandis que mon esprit a absorbé la pensée indienne ancienne. C’est pourquoi je me considère comme un fils de l’Inde. »
Sa Sainteté poursuivit en expliquant qu’en tant qu’être humain, l’un des sept milliards d’êtres humains vivants aujourd’hui, il s’était engagé à partager avec les autres la façon d’atteindre la paix de l’esprit. Il dit qu’il s’engageait aussi à protéger la nature et l’environnement. Il rappela qu’après avoir reçu l’asile politique en Inde en 1959 et passé un an à Birla House à Mussoorie, il avait déménagé à Swarag Ashram ici à Dharamsala. Ce premier hiver-là, se souvint-il, il y avait beaucoup de neige, mais au fil des années, il y en a eu de moins en moins. Ceci, conclu-t-il, est une preuve évidente du réchauffement de la planète.
C’est grave, car c’est le Tibet, source du Brahmapoutre, du Gange et de l’Indus, qui fournit le nord de l’Inde en eau, et les chutes de neige sont aussi en constante diminution. Il mit en garde contre un risque réel de manque d’eau dans le futur.
Sa Sainteté fit remarquer qu’il cherchait aussi à promouvoir l’harmonie interreligieuse. Il ajouta que le peuple tibétain plaçait sa confiance et ses espoirs en lui parce qu’il était tibétain et que c’était le Dalaï-Lama, qu’il avait donc le devoir de faire pour eux tout ce qui était en son pouvoir. Après s’être retiré de la vie politique en 2001, il entreprit de sensibiliser la population à la nécessité de protéger l’écologie tibétaine et de préserver la culture tibétaine.
« Nous avons su préserver le savoir ancien que nous avons reçu de l’Inde pendant plus d’un millier d’années « , a-t-il déclaré. « Nous y sommes parvenus grâce à une étude rigoureuse, en mémorisant les textes que nous avons expliqués mot à mot et cherché à comprendre par le débat. Shantarakshita, le grand érudit de Nalanda, qui a établi le bouddhisme au Tibet, a conseillé à l’empereur tibétain de faire traduire la littérature bouddhiste principalement du sanskrit en tibétain. Par conséquent, notre collection scripturale comprend plus de 300 volumes.
« Dans un monde confronté à une crise émotionnelle, je suis convaincu qu’il existe dans le savoir indien ancien beaucoup de choses qui sont encore pertinentes aujourd’hui. L’analyse révèle que les émotions destructrices n’ont pas de base solide, alors que les émotions constructives comme la compassion en ont une. Un psychiatre américain qui traitait des gens submergés par la colère m’a dit qu’ils considéreraient l’objet de leurs emportements comme entièrement négatif, mais qu’il s’agissait à 90% d’une projection mentale. Je crois que si les Indiens pouvaient faire revivre l’ancienne compréhension du fonctionnement de l’esprit et des émotions qui a pris naissance ici et la combiner avec l’éducation moderne, cela permettrait sans doute de jouir du développement matériel et de la paix de l’esprit.
« Dans le passé, les Indiens étaient nos gourous, maintenant le temps est venu pour que l’Inde enseigne au reste du monde. Il faudra présenter le savoir indien ancien d’une manière séculière et académique, mais adopter une approche laïque et traiter toutes les traditions spirituelles avec respect fait aussi partie de la longue tradition indienne. Je nourris de grands espoirs pour les jeunes Indiens comme vous. »
Dans ses réponses aux questions des élèves, Sa Sainteté fit remarquer que les gens considèrent qu’une démonstration de force est héroïque et qu’engager un dialogue est en quelque sorte une marque de faiblesse - cela doit changer. De même, nous devons abandonner la tendance à considérer les autres en termes de « nous » et d’ « eux » . Il nota que des problèmes tels que le chômage généralisé et l’écart entre riches et pauvres sont dus à un manque de principes moraux. Il fit remarquer que la discrimination fondée sur la caste est dépassée et il attend impatiemment que d’autres chefs spirituels se prononcent à ce sujet. Il suggéra qu’une façon d’aborder les divisions dans la société était d’utiliser un grand angle.
En ce qui concerne la protection de l’environnement, Sa Sainteté souligna la nécessité d’agir avec ténacité, citant l’exemple des rivières où la présence de poissons a été rétablie par des efforts constants de dépollution. Interrogé sur le désir, Sa Sainteté fit remarquer que le désir réaliste peut être positif et source de progrès. C’est le désir irréaliste qui mène aux ennuis. Il nous dit que, quoi que nous fassions, nous devons combiner la compassion et le souci des autres avec l’intelligence. « Voilà la manière judicieuse de satisfaire vos intérêts personnels, dit-il. »
Il redit que ce n’était pas parce que la compréhension de l’esprit et des émotions se trouvait dans des textes à visée spirituelle que cette compréhension ne pouvait être examinée et utilisée d’une manière académique et scientifique. Répondant à une question sur la façon de réduire la colère, Sa Sainteté recommanda de se demander à quoi nous servait la colère. En général, la colère est destructrice, elle rend malheureux et obscurcit notre capacité à faire bon usage de notre intelligence.
Interrogé sur la coexistence, Sa Sainteté reconnut que l’économie mondiale nous a tous rendus plus interdépendants, tandis que la technologie nous a rapprochés les uns des autres. Dans le même temps, le changement climatique et les dommages causés à l’environnement posent des problèmes que nous ne pourrons résoudre qu’ensemble, en tant que membres d’une seule communauté humaine. Par conséquent, la recherche de la coexistence est une réponse naturelle à la situation dans laquelle nous nous trouvons, mais il concéda que l’égocentrisme continuait à être un obstacle.
En ce qui concerne les changements positifs, l’éducation est le facteur clé. Sa Sainteté souligna une fois de plus l’importance de réfléchir à la manière de former les générations futures à être plus compatissantes et à utiliser à bon escient leur intelligence.
Un représentant de la conférence Round Square remercia Sa Sainteté d’avoir pris le temps d’interagir avec les élèves. Il répondit qu’il était heureux d’avoir pu le faire, parce que ce type de rencontre avec des jeunes lui permettait de se sentir plus jeune aussi.