Amsterdam, Pays-Bas
Hier matin, sous un ciel bleu et ensoleillé, Sa Sainteté le Dalaï-Lama s’est envolé de Malmö à Rotterdam. Des membres de la Fondation Dalai Lama, organisateurs de sa visite aux Pays-Bas, l’accueillirent à l’aéroport pour le conduire jusqu’au centre-ville de Rotterdam. Environ 200 Tibétains, dont beaucoup d’enfants, et d’autres sympathisants l’attendaient devant l’hôtel pour l’accueillir à son arrivée. Sa Sainteté parcourut toute la longueur des barrières contre lesquelles ils se tenaient pour leur rendre leurs salutations. Des danseurs tibétains se produisirent sur le parvis de l’hôtel tandis qu’il recevait un accueil tibétain traditionnel juste à la porte de l’hôtel. D’autres personnes encore étaient rassemblées dans le hall d’entrée à l’intérieur.
À son arrivée dans sa chambre, Sa Sainteté reçut l’ambassadeur de l’Inde aux Pays-Bas, S.E. Venu Rajamony et son épouse, qui lui rendirent une brève visite de courtoisie. Sa Sainteté rencontra également quatre personnes représentant un groupe plus important de 12 victimes présumées qui affirment que des enseignants bouddhistes tibétains les ont maltraitées physiquement ou psychologiquement. Ces personnes lui ont présenté des comptes rendus écrits de ce qui, selon eux, leur est arrivé et l’ont supplié de s’attaquer à ce problème.
Tôt ce matin, Sa Sainteté parcourut les 80 kilomètres et plus qui séparent Rotterdam d’Amsterdam où il fut reçu à la Nieuwe Kirk par la directrice Cathelijne Broers. Elle l’escorta jusqu’au bâtiment vieux de 600 ans où l’attendait un auditoire de 450 personnes. Dans son allocution de bienvenue, elle indiqua qu’étaient présents dans l’église des gens de tous milieux, y compris la famille royale, et que beaucoup d’autres dans le monde entier se joignaient à eux par la diffusion en direct de l’événement. « Connectons-nous par l’intermédiaire de la compassion et de la technologie, dit-elle, et célébrons la vie du Bouddha par le biais d’œuvres d’art, anciennes et modernes, dont l’Arbre d’Ai Wei Wei, sous lequel vous êtes assis. Nous avons rassemblé ici des jeunes et des scientifiques pour qu’ils échangent avec vous. »
La modératrice Christa Meindersma expliqua ensuite qu’il y aurait deux tables rondes d’environ 40 minutes chacune - la première portant sur « Robotique et Téléprésence » et la seconde sur « La maladie, le vieillissement et la mort ».
Après une courte vidéo sur « Robotique et Téléprésence », elle présenta une jeune fille britannique, Tilly Lockey, qui, à l’âge de 15 mois, avait perdu ses mains suite à une méningite. En dépit des pronostics pessimistes, elle survécut. « J’ai perdu mes mains si jeune que je n’ai aucun souvenir de les avoir eues », déclara Tilly à Sa Sainteté, « mais j’ai travaillé avec des technologues qui développent ces membres bioniques. Cela ne me dérange pas d’être différente et je sais que d’autres personnes perdent soudainement leurs membres et que le travail que nous faisons peut leur apporter un soutien. »
Tilly demanda à Sa Sainteté comment la technologie et la compassion pouvaient être utiles à d’autres personnes dans le monde. Voici ce qu’il répondit :
« Les machines sont très importantes, mais elles sont contrôlées par des êtres humains. Nous, les êtres humains, ne sommes pas seulement des entités physiques, nous avons aussi un esprit. Je pense que lorsque nous sommes motivés par des émotions positives, nos actions physiques sont constructives. La psychologie moderne connaît les consciences sensorielles mais elle ne les distingue pas clairement de la conscience mentale, laquelle implique la présence d’émotions comme la colère. J’ai une grande admiration pour le confort et le soulagement que la technologie peut apporter, mais j’aimerais que ses effets se fassent sentir dans les pays moins développés où la souffrance est encore grande. »
Christa Meindersma présenta le professeur Martin Steinbuch, titulaire de la chaire de robotique à l’Université Singularity, et Karen Dolva, praticienne et conceptrice de l’AV1, le premier robot de téléprésence au monde. Une courte vidéo présenta Jade qui, en Grande-Bretagne, souffre d’un problème médical chronique qui l’empêche de quitter la maison pendant de longues périodes. Le robot de téléprésence, composé d’une tête et d’épaules mobiles, lui permet de participer aux cours de son école même lorsqu’elle ne peut pas se déplacer et de rester au contact de ses amis. Il dispose d’une connexion audio bidirectionnelle, mais seule Jade, l’opératrice, a accès à un flux vidéo. Elle posa à Sa Sainteté la question de savoir s’il y a déjà eu une femme Dalaï-Lama et, dans la négative, s’il pourrait y en avoir une à l’avenir.
Sa Sainteté répondit qu’on lui avait déjà posé cette question bien souvent au fil des ans et que sa réponse était que, si un corps féminin s’avérait plus utile, pourquoi pas ? Il précisa que ce sera aux Tibétains, aux Mongols et autres peuples de la région himalayenne qu’il appartiendra de décider s’il y aura ou non un Dalaï Lama dans l’avenir.
Lorsque Christa Meindersma demanda à Jade ce que l’AV1 signifiait pour elle, elle indiqua clairement qu’il lui procurait la liberté d’aller à l’école et de rester connectée avec ses amis. Karen Dolva ajouta que le robot de téléprésence, qui peut aussi être utile aux personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer, ne remplace pas le contact humain, mais le complète et le garde vivant.
« Machine sophistiquée, demanda Sa Sainteté en se penchant sur le robot, peux-tu lire dans mes pensées ? Cette technologie est merveilleuse, mais je ne crois pas qu’elle puisse reproduire l’esprit humain. Pourtant, vous pouvez encore me prouver que j’ai tort. »
Martin Steinbuch avait apporté avec lui un robot jouet, un dinosaure de la taille d’un petit bébé.
« Ces machines sont des dispositifs matériels, observa Sa Sainteté, mais nous devons aussi penser à la conscience. Notre conscience à l’état de veille dépend de notre cerveau et de nos organes sensoriels et elle est relativement grossière. Quand nous rêvons, les sens sont au repos. Dans le sommeil profond, la conscience est plus subtile, comme elle l’est lorsque nous nous évanouissons, etc., mais la conscience la plus subtile et la plus profonde se manifeste au moment de la mort. Il y a des cas de pratiquants, mon propre tuteur par exemple, dont le corps est resté frais pendant treize jours après la mort clinique - l’arrêt des battements du cœur et la mort du cerveau - parce que cette conscience subtile est restée. »
Sa Sainteté expliqua que le psychologue Richie Davidson de l’Université de Wisconsin-Madison a entrepris un projet pour enquêter sur ce qui se passe alors. Il souligna que si la technologie peut améliorer les consciences visuelle et auditive, elle a peu d’effet sur le niveau plus subtil de la conscience mentale que l’on peut d’ailleurs développer à l’infini. Les valeurs intérieures sont en lien avec l’esprit. A ce propos, l’Inde ancienne avait développé une compréhension profonde du fonctionnement de l’esprit par des pratiques visant à cultiver un esprit calme et stable (shamatha) et la vision pénétrante analytique (vipashyana). L’accomplissement du Bouddha a résulté de ces pratiques.
Interrogé sur les robots d’auto-apprentissage et sur leur capacité à développer l’empathie, Martin Steinbuch expliqua qu’ils sont capables d’apprendre rapidement le comportement humain et de développer une intelligence aiguë. A Sa Sainteté qui se demandait s’ils étaient capables de réconforter une personne triste et démoralisée, il répondit qu’ils le pouvaient, non sans surprendre quelque peu Sa Sainteté. A la conclusion de cette première table ronde, Sa Sainteté a envoyé des baisers à Jade via son robot de téléprésence AV1.
Pour la deuxième discussion sur ‘La maladie, le vieillissement et la mort’, l’animateur a présenté les membres de la table ronde : Kris Verburgh, médecin et chercheur en médecine, Liz Parrish, directrice générale de Bioviva Sciences, Jeantine Lunshof, philosophe et bioéthicienne, et la jeune Selma Boulmalf, étudiante en religion à l’Université d’Amsterdam et ancienne élève de l’IMC Weekend School. La question posée était la suivante : « Aimeriez-vous vivre jusqu’à l’âge de 1000 ans ? »
Sa Sainteté répondit qu’il fallait être réaliste et que la question relevait d’une réflexion irréaliste. Il fit remarquer que les sadhous indiens et d’autres ont essayé d’atteindre un tel but par le yoga et le contrôle de la respiration, mais aucun ne vécut plus de 200 ans. « Notre terre finira par disparaître, notre soleil disparaîtra, même notre galaxie finira par disparaître, il est donc irréaliste de penser que nous éviterons la mort. » Verburgh reconnut que la perspective de vivre au-delà de 120 ans était faible, mais indiqua que des travaux récents effectués sur des souris ont permis de les rajeunir de façon convaincante.
Sa Sainteté émit l’hypothèse que la population mondiale pourrait dépasser les 10 milliards d’habitants, ce qui serait de toute façon beaucoup trop pour que les ressources naturelles puissent subvenir aux besoins de tous. Il déclencha le rire de l’auditoire en suggérant qu’une méthode non violente de contrôle de la population serait qu’un plus grand nombre de personnes deviennent moines et moniales.
Selma Boulmalf déclara qu’elle ne voudrait pas vivre plus de 150 ans: « Qui plus est, dit Selma Boulmalf, en tant que musulmane, pourquoi voudrais-je rester dans ce monde temporaire ? » » Elle demanda à Sa Sainteté si la maladie pouvait jouer un rôle significatif dans la vie. Il lui dit qu’il pensait qu’en étant confrontés à la douleur et aux difficultés, les croyants se rappellent Dieu et leur voie religieuse. Il précisa qu’à l’âge de Selma, il était un étudiant paresseux mais que, tout comme les musulmans mémorisent les écritures, les bouddhistes tibétains apprennent leurs textes par cœur et les étudient mot à mot. Il exposa les trois niveaux de connaissance : la compréhension de base acquise en écoutant ou en lisant, la conviction qui découle de la réflexion critique et l’expérience qui s’élève par une familiarisation plus approfondie en méditation.
Liz Parrish expliqua que la thérapie génique n’a pas à prolonger la durée de la vie mais qu’en surmontant les tendances à la maladie, elle peut en améliorer la qualité. Jeantine Lunshof voulut savoir pourquoi les êtres humains veulent vivre plus longtemps. Sa Sainteté lui répondit que même les animaux aiment la vie et veulent la défendre. « Nous aimons tous naturellement la vie, et la mort y met fin. Nous avons tendance à craindre la mort parce que c’est un mystère, mais par l’entraînement nous pouvons développer la confiance en la prochaine vie. »
Christa Meindersma annonce que le temps presse. Sa Sainteté profite de l’occasion pour revenir sur le XXe siècle et sur les grandes violences qui ont eu lieu dans les différentes guerres. « Cependant, note-t-il, vers la fin du siècle, il semble y avoir eu un changement d’attitude, les gens manifestèrent leur opposition à davantage de violence et aux souffrances qu’elle entraîne. Si nous pouvons prolonger cette tendance dans le XXIe siècle, il y a de l’espoir pour l’avenir. Nous devons nous concentrer sur le sentiment d’unité de l’humanité et le maintien de l’harmonie religieuse, dont l’Inde est un exemple frappant. Si l’harmonie religieuse peut s’y épanouir, pourquoi pas ailleurs ? »
Diederick Croese de l’Université Singularity remercia les participants, le personnel de l’église, l’organiste et tous ceux qui contribuèrent à l’événement passionnant de ce matin. Sa Sainteté présenta aux différents participants des écharpes de soie blanche, comme le veut la coutume tibétaine.
Au cours de la réunion avec des membres des medias qui suivit, Sa Sainteté fit remarquer que la technologie peut clairement jouer un rôle important dans l’atténuation de la détresse physique, mais que la paix de l’esprit et le rôle des principes moraux ne peuvent être négligés. Il fit observer que l’éducation existante fixe des objectifs matériels, ce qui se traduit par des aspirations à un mode de vie plus matérialiste avec peu de considération pour les valeurs intérieures.
Il précisa que les restrictions prescrites par le Bouddha sur le plan du comportement sexuel ne se limitent pas aux membres de la communauté monastique, mais qu’elles concernent aussi les laïcs. Il indiqua qu’il avait demandé que la question des maltraitances par des enseignants bouddhistes soit soulevée lors d’une conférence des chefs religieux en novembre.
Il exprima son désaccord sur le point de l’utilisation de la technologie pour une surveillance oppressive, mais fit remarquer que le problème tient davantage à la motivation des utilisateurs et la manière dont cette technologie est utilisée qu’à la technologie elle-même. Il répéta que les principes moraux sont la base d’une vie heureuse pour les individus, les familles et les communautés.
Mis au défi de dire pourquoi, face au changement climatique et au réchauffement de la planète, nous continuons à prendre l’avion, il indiqua que l’éducation à propos du changement climatique est essentielle. Il déplora également le retrait de l’Amérique des accords de Paris. Tout en admettant que les vols en avion sont une cause de pollution, il exprima que l’interdiction totale des vols ou l’interdiction de toutes les voitures serait une mesure extrême. Il recommande plutôt l’adoption d’une solution plus équilibrée, dans un esprit plus large et à plus longue portée.
Sa Sainteté passa en revue les différentes œuvres d’art, principalement des statues et des peintures, qui composent l’exposition illustrant la « Vie du Bouddha ». Il s’est particulièrement intéressé à une statue du Bouddha jeûnant et à une thangka représentant les douze actes de la vie du Bouddha. A la fin, dans une petite alcôve, sa vieille amie Erica Terpstra lui offrit un exemplaire de son livre pour enfants sur la vie du Bouddha, auquel il avait contribué par une préface. Lorsqu’elle lui demanda un autographe pour son exemplaire personnel, il la lui accorda à la condition qu’elle-même lui signe un autographe pour l’exemplaire qu’elle lui avait offert.
Ensuite, il partagea le déjeuner avec de vieux amis et partisans du Tibet. Finalement, à la sortie de l’église sous un soleil radieux, il découvrit que plus de 300 Tibétains et autres amis l’attendaient pour lui dire au revoir. Parmi eux, il y avait beaucoup d’enfants et Sa Sainteté a tendu la main au plus grand nombre possible d’entre eux, leur serrant la main, leur tapant sur les joues et riant avec eux avant de monter dans une voiture pour retourner à son hôtel.
Demain, il rencontrera des Tibétains et donnera une conférence pour expliquer : « Pourquoi la compassion est essentielle dans notre monde troublé ».