Un matin brumeux se transformait en une journée radieuse lorsque Sa Sainteté le Dalaï-Lama quittait Bangalore pour se rendre à l’Université de Tumkur. Il fut accueilli à son arrivée par le vice-chancelier et le greffier ainsi que par l’abbé de l’Université Monastique de Séra-Djé. La musique des percussions et des cors les a précédé dans l’auditorium du Dr Sree Sree Shivakumara Maha Swamiji. Après avoir allumé la lampe cérémonielle pour instaurer les bons augures, les prières d’invocation furent chantées, d’abord par des chanteurs indiens et ensuite par des moines de Séra-Djé. Sa Sainteté, le vice-chancelier, le greffier et l’abbé furent ainsi officiellement accueillis.
Dans son introduction, le vice-chancelier, le professeur Jayasheela, fit remarquer que toutes les personnes présentes étaient impatientes d’entendre l’allocution de Sa Sainteté. Il passa en revue le partenariat de Tumkur avec Séra-Djé et parla des projets sur lesquels ils coopèrent, y compris des échanges d’étudiants et de la traduction de plusieurs livres de Sa Sainteté en langue Kannada.
L’abbé de Séra-Djé, Tenzin Choesang Rinpoché, lu un rapport décrivant les relations de son monastère avec l’Université de Tumkur. Le protocole d’accord entre les deux institutions signé pour la première fois en 2012 a été renouvelé cette année. Il énuméra les conférences et les ateliers qu’ils ont tenus ensemble pendant la période initiale de leur accord.
Sa Sainteté fut prié d'inaugurer la publication de cinq livres publiés par le monastère de Séra-Djé. Ils comprennent un compte rendu des principes bouddhistes traduit du tibétain en anglais et produit sous la forme d’une édition bilingue ; un ouvrage sur l’histoire et la culture du Mahayana traduit de l’anglais en tibétain ; un magazine contenant des essais et des articles traduits de l’anglais en tibétain ; les Soixante-dix sujets relatifs à l’Ornement des claires réalisations en chinois et les notes concernant Avalokitèshvara traduites en chinois.
Sa Sainteté commença son discours en saluant l'auditoire comme ses chers frères et sœurs, jeunes et vieux. « Je suis très heureux d'être ici une fois de plus. J'ai maintenant plus de 82 ans et au cours de mon temps, j'ai appris beaucoup de choses et j'en ai remarqué bien d'autres. Certains disent que le Big Bang a eu lieu il y a 12 milliards d'années, d'autres affirment qu'il y a 25 milliards d'années. Quoi qu'il en soit, on dit que notre soleil est apparu il y a environ 5 milliards d'années, après quoi la vie est apparue dans notre système solaire et, avec le temps, les êtres humains ont évolué.
« Les êtres humains ont développé le langage. Nos cerveaux sont très particuliers, ils nous donnent la capacité de changer et de nous développer d'une manière incomparable parmi les mammifères. Or ce pouvoir implique aussi une capacité de destruction incroyable. Il est possible que certains pensent que les puissants animaux prédateurs comme les lions et les tigres sont agressifs et violents, mais j'ai déjà été surpris d'apprendre à quel point ils peuvent être pacifiques. S'ils sont bien nourris, ils n'ont aucune envie de chasser et de tuer. »
« Les êtres humains sont intelligents, mais si leur intelligence est contrôlée par des émotions perturbatrices, ils ont capables de choses terribles. Cela signifie-t-il que la nature humaine est bonne ou qu’elle est mauvaise ? Les scientifiques disent qu'il est prouvé que la nature humaine est essentiellement compatissante. L'expérience montre qu'en utilisant notre intelligence, nous pouvons nourrir cette graine de compassion et la développer jusqu’à ce qu’elle devienne infinie.
« Nous pouvons aussi utiliser notre intelligence pour distinguer les émotions perturbatrices de celles qui sont constructives. Les scientifiques ont observé qu'une peur et une colère constantes, par exemple, ont pour effet de miner notre système immunitaire, alors que la bonté de cœur et la paix mentale favorisent notre santé physique. C'est pourquoi nous devons adopter un code d'hygiène émotionnelle.
« Les émotions font partie de notre esprit. La colère peut avoir une certaine fonction défensive, mais si elle devient extrême et incontrôlable, elle perturbe notre propre paix mentale et rend l’ambiance désagréable où que nous soyons. »
Sa Sainteté expliqua que les religions portent traditionnellement un message de tolérance et de pardon, mais aujourd'hui le système éducatif est devenu plus influent que ces dernières. Malheureusement, bien que l'éducation moderne soit très développée en termes des connaissances qu'elle transmet, elle ne parvient pas à construire une société saine et heureuse en raison de son manque d'attention aux valeurs intérieures et à la paix de l'esprit. Elle doit devenir plus holistique et transmettre des valeurs universelles.
Sa Sainteté observa que la souffrance sévit dans différentes parties du monde, des innocents sont tués et des enfants meurent de faim. Il déplora que si les choses continuent ainsi, le XXIème siècle ne sera pas différent du siècle violent qui l'a précédé. Il n'a noté aucun relâchement dans la fabrication et l'acquisition d'armes puissantes, dont la seule finalité est la violence.
« Nous sommes maintenant plus interdépendants que jamais auparavant. Nous sommes également confrontés à des défis communs comme la menace du changement climatique. Nous devons donc tenir compte des intérêts des autres. Dans ce pays, la démocratie la plus peuplée du monde, une multitude de langues et de cultures différentes cohabitent et pourtant elles appartiennent tous cette union qu'est l'Inde. J'ai une grande admiration pour l'esprit de l'Union européenne. Après la Seconde Guerre mondiale, les adversaires historiques ont décidé de faire passer leur intérêt commun avant leurs préoccupations locales plus limitées.
« Notre système éducatif devrait adopter une attitude séculière impartiale et inclure des cours sur les avantages de l'amour et de la bienveillance. En Inde, il existe une longue tradition d'ahimsa, la non-violence, qui est enracinée dans karouna ou la pensée compatissante. Toutefois, dans l'Inde d'aujourd'hui, on obeserve une forte tendance à se tourner vers l'Occident, qui est orienté vers une perspective matérialiste. Il est urgent de combiner l'éducation moderne avec l'ancienne sagesse indienne concernant le fonctionnement de l'esprit et des émotions et l'utilisation de la logique. Seule l'Inde a le potentiel d'y parvenir. Un tel projet pourrait être exploré par l'Université de Tumkur et l'Université Monastique de Séra-Djé. »
« Nous, Tibétains, nous nous considérons comme des chélas ou des disciples de gourous indiens. Ce que nous savons, nous l'avons appris de vous. Cependant, au fil du temps, certains de ces aspects ont été négligés en Inde et maintenant les chélas sont mieux informés sur certains aspects de la sagesse ancestrale de l'Inde. J'en appelle régulièrement aux jeunes Indiens pour qu'ils accordent plus d'attention à leur ancien héritage de psychologie et de philosophie, parce que la paix dans le monde doit commencer par la paix de l'esprit. C'est un domaine dans lequel l'Inde peut montrer l'exemple. »
Beaucoup de jeunes étudiants souhaitaient poser des questions à Sa Sainteté. Une étudiante s'intéressait au statut du bouddhisme en Chine et Sa Sainteté lui a expliqué que, historiquement, la Chine a été un pays bouddhiste. Il fit remarquer que partout où les Chinois se sont installés dans le monde, ils créent une « China Town »,, où il y a presque toujours un temple bouddhiste. Il a ajouté que, connaissant bien les œuvres de Nagarjouna, les Chinois suivent aussi la tradition de Nalanda. Pendant la Révolution culturelle, il y a eu des destructions généralisées de toutes les religions, mais depuis lors on a assisté à une amélioration. Le président Xi Jinping a déclaré publiquement que le bouddhisme occupe une place importante dans la culture chinoise. Les recherches suggèrent qu'il y a maintenant plus de 300 millions de bouddhistes en Chine, dont beaucoup sont des personnes instruites.
Une autre jeune étudiante posa des questions sur la sagesse et Sa Sainteté expliqua qu'il s'agissait de la capacité de comprendre la réalité. Il s'agit d'une connaissance profonde qui va au-delà du superficiel, fondée sur le constat que les apparences ne reflètent pas la réalité.
Lorsqu'un membre de l'auditoire posa des questions sur le but de la vie, Sa Sainteté répondit que c'est d'être heureux et joyeux. Un autre voulait savoir s'il craignait la mort et Sa Sainteté lui a dit que la mort fait partie de la vie. En tant que bouddhiste, il pense qu'il y a une vie après la vie et qu'il est donc important de mener une vie pleine de sens, c'est d'ailleurs le sujet de sa prière préférée :
Tant que l'espace demeure,
Tant que les êtres demeurent,
Puissè-je de même demeurer
Afin d’éliminer les souffrances du monde.
Le greffier de Tumkur conclut la réunion en exprimant sa gratitude à Sa Sainteté pour être venu s'exprimer une fois de plus à l'Université.
Le déjeuner fut servi dans le gîte qui commémore Madan Mohan Malviya, le combattant de la liberté, contemporain et compagnon de Gandhi et fondateur de l'Université hindoue de Bénarès. Après cela, Sa Sainteté est retourné à Bangalore. Demain matin, il se rendra à Delhi.